Dans une accélération législative inattendue après des années d’immobilisme, le gouvernement libanais a adopté deux projets de loi en suspens depuis longtemps : l’un sur la levée du secret bancaire et l’autre sur la restructuration du secteur bancaire. Bien que leur mise en œuvre soit gelée pour l’instant, ces textes revêtent une portée stratégique : armer la délégation libanaise aux réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale afin de relancer les négociations. Reste à savoir si ces « munitions juridiques » sont réelles ou à blanc.

Le Liban peut-il vraiment renouer avec le FMI après la rupture de 2022, comme le laisse entendre le ministère des Finances ? Et l’adoption de ces réformes par le Conseil des ministres garantit-elle leur application concrète, ou des embûches cachées persistent-elles ?

Des obstacles législatifs en perspective

Avant d’entrer en vigueur, les textes doivent encore franchir l’étape des commissions parlementaires — notamment celles des Finances et Budget, et de l’Administration et Justice — puis être votés en séance plénière. Un examen accéléré est possible avec l’aval du président de la Chambre. Mais le véritable défi réside dans le maintien de l’essence des lois. Dans le passé, les parlementaires ont souvent modifié des réformes pour protéger certains intérêts, esquivant les mesures impopulaires qui pourraient leur coûter des voix ou des soutiens financiers à l’approche des élections. Et même si les lois sont adoptées sans altération, leur application reste incertaine : 18 réformes financières votées précédemment dorment encore dans les tiroirs, dont plusieurs cruciales pour la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale.

Une restructuration bancaire qui fait grincer des dents

Entre les deux projets, la levée du secret bancaire pourrait être adoptée rapidement. La restructuration des banques, en revanche, suscite une forte résistance, notamment de la part des établissements eux-mêmes. L’article 26 du projet contredit le narratif bancaire dominant selon lequel la crise est systémique, en imposant la participation des actionnaires et créanciers aux pertes en cas de liquidation. Associé à l’article 3 — qui limite l’usage de fonds publics pour les renflouements — le projet reflète une hiérarchie des pertes conforme aux exigences du FMI : d’abord les banques, ensuite les déposants, enfin l’État et la Banque du Liban.

Des amendements pragmatiques à la loi de réforme

Selon l’expert en fiscalité et finances publiques Karim Daher, les modifications apportées à la loi de restructuration bancaire sont à la fois logiques et conformes aux attentes internationales :

- Elles établissent un cadre légal pour gérer d’éventuelles faillites bancaires futures.

- Elles articulent gestion de crise et stabilisation financière à long terme.

Parmi les amendements majeurs :

- Suspension de l’application de la loi jusqu’à l’adoption d’une loi-cadre de redressement financier, validée par le FMI.

- Extension de la protection aux fonds de pension, de santé et de retraite des syndicats et militaires.

- Priorité à la protection des petits déposants.

- Obligation de recapitalisation par les actionnaires avant tout soutien public.

- Création d’un tribunal spécial pour trancher les litiges entre déposants et banques.

- Plafonnement de l’usage des fonds publics dans la restructuration.

- Droit de recours contre les décisions de l’autorité bancaire supérieure.

- Transfert des missions d’évaluation du patrimoine bancaire à la Banque du Liban, pour éviter les conflits d’intérêts.

Premiers signes de contestation

Certaines associations de déposants ont commencé à protester — certaines de façon spontanée, d’autres soupçonnées de servir indirectement les intérêts bancaires. Les banques, craignant d’être tenues pour responsables de la crise, contre-attaquent en affirmant que les conditions du FMI nuisent aux déposants et qu’il vaudrait mieux privilégier des solutions locales.

Mais pour Karim Daher, cette rhétorique est trompeuse. L’idée que le Liban pourrait éviter le FMI grâce à une croissance de 6 à 7 % et un retour des capitaux est illusoire. Tant que les banques locales restent isolées du système bancaire mondial et considérées comme des « banques zombies », aucun investisseur sérieux ne reviendra.

Selon lui, ce discours vise à protéger ceux qui ont profité de la crise au détriment des déposants et de l’économie, en se dérobant à leurs responsabilités. Ces arguments pourraient bien être repris par certains députés pour justifier des blocages lors des débats parlementaires.

Le vrai test reste à venir

Le défi est désormais d’éviter que des intérêts privés ne détournent le processus législatif en enlisant le débat dans les détails techniques. Certes, le projet de réforme n’est pas parfait, mais il constitue un pas concret vers un changement structurel.

Si les opposants aux réformes du FMI se présentent comme les défenseurs héroïques de la propriété privée, ils sortiront peut-être vainqueurs politiquement — mais au prix d’un échec économique.

Le gouvernement libanais a terminé son « échauffement ». La véritable course pour combler le gouffre financier, semée d’embûches, ne fait que commencer. Franchira-t-il la ligne d’arrivée ?