Alors que le monde reste absorbé par les conflits au Moyen-Orient, le Soudan traverse des développements dramatiques, avec une armée qui semble sur le point de sécuriser son contrôle après un réalignement des alliances régionales ces derniers mois.
Ce changement dans le paysage politique et militaire soudanais ne s’est pas produit du jour au lendemain. Il s’est développé progressivement à partir d’un équilibre de pouvoir autrefois stable entre le Conseil de souveraineté et l’armée soudanaise, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan, et les Forces de soutien rapide (FSR), commandées par le lieutenant-général Mohamed Hamdan Dagalo, connu sous le nom de Hemedti.
Pendant des années, ces deux factions ont partagé le pouvoir, mais en avril 2023, Hemedti a pris le contrôle de zones stratégiques clés, déclenchant des combats intenses qui ont failli coûter à Al-Burhan le contrôle de la capitale, Khartoum. À un moment donné, il a perdu le palais présidentiel ainsi que Omdurman, la deuxième plus grande ville du pays, adjacente à la capitale.
Cependant, depuis la fin de 2023, l’armée a repris l’initiative, renforcé ses rangs et récupéré progressivement les territoires détenus par les FSR tout au long de 2024. Aujourd’hui, elle a porté un coup majeur aux FSR, contrôlant la majeure partie de Khartoum et encerclant efficacement Hemedti dans ses derniers bastions.
Ce basculement décisif a été principalement provoqué par l’évolution des alliances régionales, ainsi que par une montée du ressentiment populaire envers les FSR, notamment la milice Janjawid, qui en constitue le noyau central. Les exactions de ces milices à Khartoum et dans d’autres régions ont suscité une forte opposition.
Un soutien régional renforcé pour Al-Burhan
Al-Burhan bénéficie désormais d’un soutien régional sans précédent. La Turquie, qui étend son influence de l’Asie vers l’Afrique, joue un rôle crucial. Déjà implantée en Irak du Nord, en Syrie du Nord et à Chypre du Nord, elle a encerclé le Soudan grâce à sa présence en Libye occidentale, en Somalie et au Tchad. De plus, elle a déployé des milices islamistes alliées, telles que la « Brigade Baraa Bin Malik », qui combattent aux côtés de l’armée soudanaise.
Un élément clé de ce changement de pouvoir a été la relance de l’alliance entre les Frères musulmans et l’Iran, qui collabore désormais étroitement avec la Turquie. Après une réconciliation entre Al-Burhan et Téhéran en octobre 2023, l’Iran a commencé à fournir à l’armée soudanaise des armes, notamment des drones. Cette aide, combinée aux liens historiques entre Téhéran et les commandants clés de l’armée soudanaise, a considérablement renforcé ses capacités contre les FSR.
La Turquie a également joué un rôle central dans la réconciliation entre le Soudan et l’Iran, profitant du rapprochement entre Téhéran et l’Arabie saoudite, qui soutient également l’armée soudanaise. Ce réalignement régional a offert à Khartoum un cadre diplomatique lui permettant de s’ouvrir plus ouvertement à l’Iran.
Pour l’Iran, le Soudan représente une opportunité stratégique majeure. Après ses pertes en Syrie, Téhéran cherche désormais à établir une base à Port-Soudan, sur la mer Rouge, face à Israël. Cette avancée pourrait compromettre la normalisation des relations entre Khartoum et Tel-Aviv, tout en rapprochant l’Iran du Yémen et en étendant son influence sur sept pays africains partageant une frontière avec le Soudan. En retour, Al-Burhan espère tirer parti des relations étroites entre l’Iran et l’Éthiopie pour ses propres intérêts stratégiques futurs.
Russie, Algérie et Égypte : élargissement de la coalition
La Russie a également changé de camp, passant de son soutien à Hemedti à un alignement avec Al-Burhan, obtenant en échange une base militaire à Port-Soudan, une compensation pour ses pertes stratégiques en Syrie. Cette avancée s’est faite au détriment de l’influence ukrainienne, qui avait auparavant été alliée à Al-Burhan mais a rapidement perdu pied.
Dans le même temps, l’Algérie a massivement financé l’armée soudanaise pour l’aider à éliminer les FSR, qui bénéficient du soutien des Émirats arabes unis. Le Tchad, un allié de Hemedti, suscite une inquiétude particulière pour le président algérien Abdelmadjid Tebboune, qui redoute l’influence croissante de la tribu Rizayqat—le noyau des FSR—en Algérie. Par ailleurs, les Émirats arabes unis, qui soutiennent les FSR, sont également un allié de longue date du Maroc, rival historique de l’Algérie.
L’Égypte reste cependant l’allié régional le plus influent du Soudan. En tant que plus grande puissance arabe, Le Caire est directement concerné par la stabilité du Soudan et a historiquement soutenu son armée. Les forces égyptiennes ont même participé directement aux combats contre les FSR à plusieurs reprises. L’enjeu pour l’Égypte est d’autant plus crucial qu’elle est en conflit avec l’Éthiopie sur le partage des eaux du Nil, et les gains militaires soudanais lui offrent un avantage stratégique face à Addis-Abeba.
Le Soudan a également obtenu le soutien de l’Érythrée, et un accord de coopération militaire récemment annoncé avec l’Égypte et la Somalie viendra encore renforcer ses forces armées.
Hemedti recentre ses efforts sur le Darfour
De son côté, les FSR ont bénéficié du soutien des Émirats arabes unis, principalement en récompense de leur engagement aux côtés d’Abu Dhabi dans la guerre au Yémen. Ce soutien a permis à Hemedti d’étendre son influence et de s’approprier d’importantes ressources, notamment l’or extrait à l’ouest du Soudan. Cependant, alors que l’armée consolide son pouvoir, les FSR font face à des difficultés croissantes en matière de ravitaillement et d’approvisionnement en armes. Hemedti a également reçu un soutien du Tchad, de l’Armée nationale libyenne et du Kenya, bien que leur impact reste limité.
Face à des pertes croissantes à Khartoum, Hemedti semble désormais recentrer son attention sur le Darfour, sa région d’origine. Les FSR recrutent principalement parmi les communautés noires africaines riveraines de la région, qui conservent encore leurs traditions culturelles et linguistiques distinctes. Hemedti a exploité depuis longtemps leur sentiment de marginalisation et d’injustice pour les rallier à sa cause.
Malgré ses déclarations publiques affirmant son intention de poursuivre la bataille pour Khartoum, Hemedti a tenté à plusieurs reprises d’obtenir des cessez-le-feu—des demandes systématiquement rejetées par Al-Burhan, qui y voit une simple manœuvre pour gagner du temps. Fort du soutien régional qu’il a consolidé, Al-Burhan est déterminé à aller jusqu’au bout pour assurer une victoire totale et un contrôle militaire absolu sur le Soudan.