Les Libanais, le monde arabe et la communauté internationale, n’avaient pas besoin d’attendre deux mois après l’installation du nouveau régime et de son gouvernement pour voir la crise libanaise se révéler dans toute sa complexité. Toutefois, la "dissimulation" pratiquée par les opposants à la présidence de la République et du gouvernement a maintenu cette vérité en suspens, jusqu’à ce qu’elle transparaisse à travers leurs lapsus et leurs expressions, comme le mentionne "Nahj al-Balagha" de l’imam Ali Ibn Abi Talib.
À la lumière des prises de position, déclarations et équations qui se sont accumulées au cours des deux derniers mois, la crise peut être résumée en une seule formule clé, omniprésente dans trois textes fondateurs : le discours d’investiture présidentielle, la déclaration ministérielle et le communiqué conjoint de la récente rencontre libano-saoudienne à Riyad. Cette phrase-clé, c’est celle du "monopole des armes par l’État libanais", qui a aussitôt divisé les Libanais en deux camps. D’un côté, ceux qui la soutiennent ouvertement et fermement : le nouveau pouvoir, les forces souverainistes et les indépendants. De l’autre, ceux qui la contestent implicitement en mettant en avant d’autres formules : le "duo chiite" (Hezbollah et Mouvement Amal) et, derrière – ou devant – lui, Téhéran.
Mais ces derniers ont fini par tomber le masque. Ces derniers jours, ils ont cessé de feindre la retenue et revendiquent désormais ouvertement leur refus du monopole des armes par l’État, invoquant la nécessité de maintenir une séparation entre le nord et le sud du Litani, ainsi que la perpétuation de l’alerte et du "doigt sur la gâchette" face à l’occupation israélienne, au cas où la pression diplomatique échouerait. Leur "patience stratégique" s’est émoussée, et ils s’empressent de proclamer l’échec de la diplomatie avant même de lui laisser une chance.
Plus frappant encore, la prise de position explicite du Président de la Chambre des députés, Nabih Berri, pourtant réputé pour sa sagesse et son pragmatisme, qui a rejeté l’idée de restreindre les armes à l’État sans ambiguïté. Selon le quotidien Al-Diyar, il a fermement refusé "toute tentative d’échange entre les aides à la reconstruction et des conditions politiques ou militaires, qu’il s’agisse du désarmement de la résistance au nord du Litani ou d’autres dossiers internes". Un message qui coïncide, curieusement, avec la déclaration du conseiller du guide suprême iranien, Ali Akbar Velayati, affirmant que "la résistance est toujours forte et bénéficie du soutien de la majorité du peuple libanais". Ce qui rappelle l’autre déclaration du général Qassem Soleimani (ancien chef de la Force Al-Qods du corps des gardiens de la révolution islamique), après les élections législatives libanaises de 2018, selon laquelle la République islamique avait obtenu la majorité au Parlement libanais (74 députés).
Une autre coïncidence troublante : les propos de Nabih Berri ont été suivis de près par ceux de Sami Abou Zouhri, dirigeant du Hamas, qui a martelé que "les armes de la résistance sont une ligne rouge et ne seront pas échangées contre une aide à la reconstruction".
Dans les faits, Téhéran, avec le Hezbollah, Nabih Berri et l’ensemble des forces de "l’axe de la résistance", ignorent les développements majeurs, qu’ils soient militaires ou politiques, et les bouleversements des rapports de force dans les quatre capitales arabes (ainsi que Gaza) qu’ils se vantaient de contrôler. Ils occultent également la réalité d’un accord écrit de cessez-le-feu, qui exige explicitement le désarmement du Hezbollah sur l’ensemble du territoire libanais et en confie la responsabilité exclusive à l’armée libanaise. Ce déni s’est ensuite mué en une campagne de harcèlement contre le président de la République, à travers les médias et les réseaux sociaux, et contre le Premier ministre, directement confronté à la contestation dans le sud du pays. Une posture qui enterre toute prétendue adhésion au cadre de l’État et à l’Accord de Taëf.
Cette hostilité à l’égard de l’État libanais n’a d’ailleurs pas été atténuée par l’éloge, pourtant appuyé, de Berry au discours du président Joseph Aoun lors du sommet arabe, qu’il a qualifié de "remarquable". Un hommage qui a soigneusement omis l’essentiel : la revendication d’un Liban ancré dans son environnement arabe et dans le monde libre, et la condamnation explicite de la destruction et de l’occupation de Beyrouth, Damas, Bagdad et Sanaa (bastions de “l’axe de la résistance"), au nom d’une cause palestinienne instrumentalisée.
Cette frustration s’est également nourrie de la position ferme du chef de l’État libanais, qui a réaffirmé, face à la délégation iranienne au palais de Baabda, puis à plusieurs reprises, que les Libanais "refusent d’être entraînés dans les guerres des autres sur leur territoire". Or, ses détracteurs rétorquent qu’il n’y a pas de guerres étrangères au Liban, mais une seule guerre, celle d’Israël. Comme si les conflits palestiniens, syriens, iraniens et autres affrontements interposés n’avaient pas ensanglanté et ravagé le Liban !
En vérité, la réticence silencieuse face au projet du nouveau pouvoir libanais de réformer l’État et rétablir son autorité s’est transformée en rejet affiché. Ce qui relevait du murmure étouffé et de l’agacement contenu s’est mué en déclarations explicites contre tout ce que signifie la souveraineté nationale et l’unicité du pouvoir de décision en matière de paix et de guerre.
Mais "à toute chose malheur est bon". La détermination de l’État à consacrer l’exclusivité de l’usage des armes à ses seules institutions légitimes a eu un effet révélateur. Elle a contraint les opposants à sortir du bois, à assumer leur posture, et à ramener la crise libanaise à sa véritable dimension.
Car cette formule-clé n’est pas anodine. Elle met en lumière la source du mal et de la discorde, offrant ainsi aux Libanais, aux Arabes libres et au monde un diagnostic sans appel, et un remède à la mesure du mal qui ronge le pays.