Un haut responsable libanais du secteur des télécommunications s’indigne face à l’affirmation selon laquelle les consommateurs paient « le prix le plus élevé pour le pire service ». Lors d’une interview radio, il réplique : « Les prix d’Internet chez Ogero sont les plus bas du Moyen-Orient et le service est parmi les meilleurs. » Cette déclaration remet en question l’engagement du nouveau ministre des Télécommunications, Charles Hajj, à « travailler sérieusement à l’amélioration du secteur ». Selon ce responsable, tout est déjà « bien en place », et le secteur fonctionne grâce au dévouement du personnel administratif et aux sacrifices des employés. Il estime que le seul élément manquant est l’obtention, de manière ordonnée, des ressources financières « enfouies » au sein du ministère des Finances, afin de permettre au secteur d’atteindre son plein potentiel.

Cependant, en mettant de côté les pannes d’Internet bien trop fréquentes—dont l’une a interrompu la rédaction de cet article—il est inexact de prétendre que les consommateurs paient peu pour leur service. Ogero facture un forfait Internet de 80 Go et 50 Mbps à 420 000 livres libanaises, soit 2,3 % du salaire minimum, actuellement fixé à 18 millions de livres libanaises. En comparaison, « le standard mondial pour un prix Internet équitable, permettant à tous d’y accéder, est estimé à 0,01 % du revenu », explique l’expert en télécommunications Wassim Mansour. Le coût grimpe de manière exponentielle pour les forfaits illimités—privilégiés par la plupart des foyers en raison de l’augmentation de l’utilisation en ligne—atteignant 20 dollars pour seulement 8 Go, soit environ 10 % du salaire minimum. En ajoutant les frais de téléphone fixe et d’Internet, ainsi que la recharge de deux lignes mobiles prépayées à un minimum de 20 dollars chacune pour couvrir les besoins essentiels, les dépenses mensuelles en télécommunications d’un ménage atteignent 40 dollars, soit 20 % du salaire minimum. Un chiffre exorbitant à tous les niveaux. Un autre indicateur de la faible valeur du service est que « 60 % des utilisateurs d’Internet au Liban ne bénéficient pas du service d’Ogero », ajoute Mansour.

L’argument du “manque de ressources”

Les autorités des télécommunications attribuent les carences du service à la diminution de la part des revenus collectés allouée au secteur, ainsi qu’aux retards dans la réception de ces fonds. À titre d’exemple, la première tranche du budget 2024 alloué à Ogero n’a été débloquée que le 18 février 2025. « Si le nouveau ministre veut améliorer la qualité du service, sa priorité devrait être de résoudre ce problème avec le ministère des Finances », affirment les responsables. Les fonds que reçoit Ogero suffisent à peine à couvrir les coûts de maintenance et l’achat de diesel pour les générateurs des centraux téléphoniques. Depuis 2019, aucun investissement n’a été réalisé pour moderniser le réseau de cuivre vieillissant du Liban—installé dans les années 1990 et coûteux à exploiter et à entretenir. Les responsables insistent sur la nécessité urgente de remplacer cette infrastructure obsolète par la fibre optique ou une autre technologie moderne.

L’échec du projet de la fibre optique

Parmi les centaines de milliers d’abonnés à Internet fixe—qu’ils soient clients d’Ogero ou d’opérateurs agréés et non agréés—seuls environ 13 000 à 14 000 utilisateurs ont accès à la fibre optique, principalement dans quelques quartiers de Beyrouth, selon Mansour. « Malgré au moins 180 millions de dollars déjà dépensés pour le projet de fibre optique—soit plus de la moitié du budget total de 300 millions de dollars—l’initiative n’a pas atteint ses objectifs », souligne-t-il. Cela indique que la crise d’Internet au Liban dépasse largement les contraintes financières et le réseau de cuivre vieillissant. Elle révèle des problèmes plus profonds de mauvaise gestion et d’absence de planification stratégique dans ce secteur crucial. Ces problèmes structurels sont antérieurs à la crise économique, puisque la majorité des revenus ont historiquement été absorbés par les coûts opérationnels et une main-d’œuvre pléthorique, plutôt que par des investissements dans les infrastructures.

Le rôle de l’Autorité de régulation des télécommunications

Dans ce contexte, la question de la relance de l’Autorité de régulation des télécommunications (TRA) revient sur le devant de la scène. Cet organisme a pour mission d’ajuster les tarifs, de prévenir les pratiques anticoncurrentielles, de réglementer les privilèges du marché et de délivrer des licences—des mesures essentielles au développement du secteur. « Son rôle est central, important et fondamental », affirme Mansour. Toutefois, il prévient que sa simple existence ne suffira pas à résoudre tous les problèmes : « La mission principale de la TRA est réglementaire, et l’octroi de licences est une mission secondaire. »

Contrairement aux idées reçues, Mansour affirme qu’« il n’y a pas de monopole dans le secteur de l’Internet ». Si le ministère des Télécommunications reste la seule entité responsable de l’importation de la bande passante via les câbles sous-marins et de sa distribution via Ogero, « le Liban compte 120 fournisseurs d’accès à Internet (FAI) agréés et 600 entreprises non agréées ». Ainsi, la mission de la TRA ne consiste pas à briser un monopole—puisque, selon Mansour, « le monopole est déjà brisé »—mais plutôt à garantir des investissements transparents et à lutter contre la mauvaise gestion. Il cite le projet de fibre optique comme un exemple flagrant : 180 millions de dollars sur les 300 millions budgétés ont été dépensés pour ne connecter que 13 000 abonnés. La TRA devrait se concentrer sur le contrôle de la qualité du service, l’élaboration d’un plan stratégique et l’extension de la couverture aux zones mal desservies.

La nécessité d’appliquer la loi 431

D’un autre point de vue, la mission de la TRA devrait s’inscrire dans le cadre de la loi 431. Les échecs précédents de l’autorité sont dus à deux raisons principales :

L’ignorance de la disposition légale supprimant l’exclusivité du ministère des Télécommunications et transférant les services télécoms à une nouvelle société, Liban Telecom.

L’alliance du secteur privé avec les ministres successifs des Télécommunications contre la TRA, ces derniers conservant le pouvoir exclusif d’octroyer les licences FAI et DSP, au lieu de laisser cette responsabilité à l’autorité de régulation.

Aujourd’hui, plus que jamais, le Liban doit appliquer la loi 431 et mettre en place une autorité de régulation neutre et indépendante. Sinon, le pays risque d’adopter des réformes en apparence tout en les contredisant dans les faits—voire en agissant directement contre elles.