Depuis la guerre des deux Ans (1975-1976) et son prolongement jusqu’en 1990, les réformes ont été une promesse récurrente de chaque mandat présidentiel. Avec Amine Gemayel, le gouvernement avait obtenu des pouvoirs législatifs exceptionnels pour accélérer les réformes, mais ces avancées ont été compromises par l’annulation de plusieurs décrets sous Rachid Karamé.

La question de la réforme s'est donc imposée à travers les différents mandats présidentiels et gouvernements successifs jusqu’à aujourd’hui.

Sous la présidence d’Amine Gemayel, le gouvernement a obtenu des pouvoirs législatifs exceptionnels de la part du Parlement afin de gagner du temps. Le gouvernement dirigé par Chafic Wazzan a ainsi promulgué 161 décrets législatifs portant sur la sécurité, la défense, la justice, l’administration publique, l’éducation, les médias, le développement, l’équipement, la sécurité sociale, les finances, la monnaie et l’économie. Cependant, le gouvernement de Rachid Karamé qui lui a succédé a annulé 29 de ces décrets et en a modifié 20 autres.

Depuis lors, il n’est plus un secret que le Parlement s’est attaché à ses prérogatives et n’a plus accordé de délégations législatives à aucun gouvernement. Pourtant, ce même Parlement, qui produit une législation abondante chaque année – même lorsqu’il se transforme en corps électoral – s’est souvent contenté de mener le travail à moitié, rejetant la responsabilité sur l’exécutif. Il a ainsi adopté des lois nécessitant des décrets d’application, tout en sachant que les gouvernements successifs, reflétant ses propres équilibres internes, ont été incapables de les mettre en œuvre.

Ce rappel vise à souligner que les tiroirs des ministères regorgent de lois inapplicables faute de décrets d’application. Aujourd’hui, alors que le besoin de réforme est pressant, nous suggérons aux ministres de rouvrir ces dossiers, de dépoussiérer ces lois et de promulguer les décrets nécessaires, dans un souci d’efficacité et d’intérêt général.

Il faut reconnaître que de nombreux facteurs ont entravé les tentatives de réforme, au premier rang desquels la primauté des intérêts individuels sur l’intérêt national, la puissance des réseaux de corruption s’étendant à tous les niveaux, et la capacité de l’arsenal militaire à paralyser toute tentative de réforme dès lors que les mécanismes légaux prennent le dessus sur les efforts d’obstruction.

Aujourd’hui, cependant, la situation a changé, et nous pensons qu’il est temps de franchir le premier pas. Le Premier ministre lui-même affirme que son gouvernement a entamé la réforme. Jusqu’à présent, nous avons constaté la rapidité avec laquelle le gouvernement a été formé, ce qui témoigne de la volonté d’accélérer le processus de réforme.

En tout état de cause, nous savons que la réforme est impossible sans un gouvernement, et nous savons aussi que celui-ci vient à peine d’obtenir la confiance du Parlement. Nous admettons également que la réforme n’est pas une tâche aisée, même avec la meilleure volonté du monde, car les cinquante dernières années ont été marquées par un chaos généralisé, malgré quelques périodes brèves de stabilité et de prospérité économique.

Nous attendons donc cette réforme, qui commence aujourd’hui par une série de nominations, notamment dans les secteurs sécuritaire, judiciaire et financier. Les dirigeants de ces institutions seront les véritables témoins de l’authenticité du processus et de la rapidité de sa mise en œuvre.

Il est désormais clair que la réforme repose sur plusieurs priorités égales en importance :

- Le désarmement et la centralisation du monopole des armes aux mains de l’État, mettant fin aux activités armées des groupes, factions ou milices résiduelles sur le territoire libanais. Cette mesure est cruciale, car la prolifération des armes facilite la criminalité et l’instabilité sécuritaire, comme en témoignent les incidents récurrents à travers le pays. En parallèle, un travail diplomatique intensif est nécessaire pour contraindre Israël à se retirer des territoires libanais qu’il occupe encore.

- Le renforcement des responsabilités des forces de sécurité, afin qu’elles puissent exercer pleinement leurs fonctions dans leurs domaines respectifs, notamment le contrôle des frontières terrestres, maritimes et aériennes.

- La nomination d’une instance judiciaire indépendante et digne de confiance. Malgré les nombreuses atteintes à son intégrité, la magistrature conserve encore en son sein des éléments sains, capables d’assainir l’appareil judiciaire et d’éliminer les dysfonctionnements qui le minent.

- La désignation d’autorités financières et monétaires compétentes, qui auront pour mission de rétablir la confiance dans les institutions économiques et bancaires, et de garantir les droits des citoyens privés de leurs fonds par les banques – pour ne pas employer un terme plus dur.

- L’installation d’organismes de contrôle administratif et financier, chargés de veiller au respect de la loi et à son application équitable pour tous.

Ce n’est qu’après cela que pourront être engagées les étapes suivantes, tout aussi essentielles : la réforme de l’éducation, de la santé, du système social et de l’économie, ainsi qu’une révision complète des programmes scolaires.

Dans cette optique, le Président de la République a choisi d’inaugurer son programme de visites officielles par un déplacement en Arabie saoudite. Il y assurera aux dirigeants saoudiens que la volonté de réforme est réelle et que la mise en place d’un climat sécuritaire stable en est la condition sine qua non. Il sait aussi qu’aucune aide extérieure ne sera accordée au Liban tant que ce dernier ne s’aidera pas lui-même en appliquant les engagements pris par le précédent gouvernement en matière de sécurité et de réforme.

La réforme est certes difficile, mais elle est indispensable au redressement du pays et à la construction de la prochaine phase de l’histoire du Liban.