Le communiqué final de la « Conférence du dialogue national syrien », dont la constitution s’est faite de manière précipitée, s’est voulu rassurant pour l’extérieur, cherchant à atténuer les critiques et à obtenir une levée des sanctions. Mais au-delà des formules générales, il illustre clairement la vision des nouveaux dirigeants de Damas quant à l’avenir du pays pour les prochaines années.
Cette conférence intervient en pleine tourmente, héritage d’une guerre civile dont les chapitres restent inachevés. L’objectif premier était d’apaiser les craintes internationales en posant les bases d’une Syrie nouvelle, tout en affichant l’ouverture du pouvoir envers les différentes composantes syriennes, sur les plans politique et économique.
Mais pour Damas, la priorité reste la levée des sanctions, essentielle pour préserver l’unité nationale menacée à l’Est, au Nord, au Sud et à l’Ouest. À défaut d’une levée immédiate, un allègement progressif ou, au minimum, un gel partiel des sanctions permettrait à l’administration en place de reprendre son souffle. Car sans cela, elle ne pourra s’appuyer sur une base solide, même avec le soutien turc, lui-même fragilisé par une menace israélienne croissante et par l’influence américaine qui se recoupe avec celle de Tel-Aviv. Washington laisse entendre qu’il pourrait tolérer une certaine présence russe, dans le but de freiner l’ascension des dirigeants salafistes au pouvoir à Damas.
Une reconstruction entravée
Les dirigeants actuels de la Syrie ambitionnent d’obtenir la levée des sanctions afin de lancer un vaste chantier de reconstruction, estimé à 300 milliards de dollars. L’infrastructure du pays est dévastée et la majorité de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté, tandis que le gouvernement ne dispose d’aucune ressource significative. Environ 80 % des richesses pétrolières du pays, par exemple, sont sous le contrôle des forces kurdes dans le Nord-Est. Quant au soutien arabe, il reste limité, freiné par la position américaine qui s’oppose à toute levée des sanctions.
La conférence n’a donc pas puconvaincre la communauté internationale, notamment en matière d’inclusivité. Les forces kurdes des FDS en ont été exclues, tout comme de nombreuses figures influentes des minorités confessionnelles. Même au sein de la communauté sunnite, le régime a opté, sous l’impulsion du président syrien Ahmad al-Sharaa, pour une participation individuelle plutôt que collective. Cela s’applique également aux Frères musulmans, pourtant supposés proches de al-Sharaa, lui-même issu de la mouvance salafiste. Cette mise à l’écart a suscité le mécontentement des islamistes syriens et d’autres factions de l’opposition historique.
Un congrès réduit à un exercice de style
Les critiques dénoncent la marginalisation des figures influentes par al-Sharaa, transformant ainsi la conférence en un simple folklore politique. À titre d’exemple, Ayman Al-Asfari, que certains participants avaient proposé pour diriger le gouvernement, a fini par quitter les débats, tout comme d’autres personnalités. Ce départ a renforcé l’idée que al-Sharaa favorise les islamistes radicaux de son camp au détriment des figures civiles. Pourtant, Al-Asfari, originaire d’Idlib, est un homme d’affaires ayant des connexions internationales et réside en Grande-Bretagne. Certains n’hésitent pas à le comparer à Rafic Hariri avant son accession au poste de Premier Ministre du Liban.
Malgré cela, la conférence a tenté d’adopter une approche institutionnelle en mettant en place des groupes spécialisés pour traiter des questions fondamentales du pays. La priorité a été donnée à la centralisation du pouvoir militaire, alors que l’autorité du régime s’effrite sous la pression des forces régionales et que plusieurs zones à forte identité communautaire échappent déjà à son contrôle. L’accent a également été mis sur la nécessité de préserver l’unité nationale et de condamner l’incursion israélienne à travers un document officiel, servant de base pour solliciter l’appui des instances internationales et régionales.
Des promesses sans garantie
Le communiqué final a multiplié les déclarations ambitieuses : institutionnalisation du pouvoir, élaboration d’une déclaration constitutionnelle, promotion de la citoyenneté et de la coexistence pacifique, rejet de la violence et des règlements de comptes. Toutefois, il a maintenu le principe de justice transitionnelle, ce qui signifie que les purges contre les figures de l’ancien régime se poursuivront.
Mais ces engagements restent non contraignants pour le futur gouvernement transitoire, dont le mandat est censé s’étendre sur trois ans. Or, en l’absence de toute mention de la démocratie et face aux nombreuses exclusions politiques, le régime syrien n’a offert aucune concession aux exigences occidentales.
Cette situation renforce la position de Washington, qui s’oppose à toute levée des sanctions, tandis que l’Europe, fidèle à son rôle sous l’ère de Bachar Al-Assad, tente en vain d’infléchir la fermeté américaine. L’UE a plaidé pour un assouplissement partiel des sanctions les plus sévères, mais cette démarche est restée lettre morte.
Un isolement persistant
L’absence d’une réelle ouverture vers l’opposition historique et la distribution de rôles secondaires à certaines figures pour calmer les critiques internationales n’ont fait qu’éloigner al-Sharaa encore davantage de l’Occident. Dans ce contexte, la loi César demeure en vigueur, bloquant toute perspective de relance économique ou d’aide arabe sérieuse, même de la part des alliés du régime comme le Qatar, qui souhaitait déposer une garantie financière mais s’est heurté aux restrictions internationales.
Tout porte à croire que al-Sharaa choisira lui-même le futur chef du gouvernement parmi les cadres de sa mouvance salafiste-jihadiste, consolidant ainsi son emprise sur les institutions, à l’image des précédents dirigeants baathistes et des figures militaires qui se sont succédé depuis le coup d’État de Hosni Al-Zaïm en 1949.
Autrement dit, la future administration ne différera guère du pouvoir en place, sous le regard d’une communauté internationale qui ne se soucie pas tant de la nature du régime – technocratique sous une façade civile ou ouvertement islamiste – que de son sérieux dans les réformes. Or, ces dernières semblent impossibles à mettre en œuvre, non seulement en raison des limites imposées par al-Sharaa et son entourage, mais aussi à cause des tensions internes et des défis à venir, qui pourraient se révéler aussi complexes que périlleux.