Les heures s’écoulent dans l’attente du vote de confiance à la nouvelle équipe gouvernementale, comme si elles duraient une éternité. Des dizaines, voire des centaines d’échéances reportées depuis des années, se pressent soudainement pour s'extraire du goulet de l'effondrement et accéder à l’horizon de la croissance. L’espoir de voir des réformes aboutir ne relève plus du simple vœu pieux ; il devient un impératif si les responsables veulent sauver le Liban et amorcer sa reconstruction.
La communauté internationale maintient la pression sur le Liban pour qu'il engage des réformes financières et économiques, condition sine qua non à l’octroi de prêts et d’aides internationales. Lors de sa récente visite à Beyrouth, la commissaire européenne en charge du voisinage et de l'élargissement, Dubravka Šuica, a rappelé que « le versement de 500 millions d’euros, sur le milliard d’euros alloué au Liban en 2024 par l’Union européenne, est tributaire de la restructuration du secteur bancaire et d’un accord avec le Fonds monétaire international ». Le message est le même du côté des bailleurs de fonds, qu’il s’agisse d’États ou d’institutions. Depuis 2018, l’envoyé français Pierre Duquesne, chargé du suivi de la conférence CEDRE, ne cesse de marteler aux responsables libanais la nécessité de mettre en œuvre ces réformes.
Une restructuration bancaire individualisée
Malgré tout, la probabilité d’un échec reste aussi élevée que celle d’un succès, comme le souligne un récent rapport de l'Institute of International Finance intitulé "New Era: The Urgent Need for Deep Reforms". La raison principale réside dans les doutes croissants quant à une tentative des décideurs de contourner les exigences internationales, notamment celle de la restructuration du secteur financier, pierre angulaire d’un accord avec le FMI.
La nouvelle direction de la Banque du Liban, qui sera nommée en juin prochain, pourrait choisir de traiter la situation des banques au cas par cas, en s’appuyant sur les lois 2/67 et 91/110, plutôt que de faire adopter une loi générale de restructuration par le Parlement. Un tel scénario contournerait l’une des principales conditions du FMI, à savoir la reconnaissance des dépôts des banques auprès de la BDL comme des créances irrécouvrables devant être effacées.
Ce contexte alimente également la pression en faveur de l'utilisation des actifs de la BDL, notamment les réserves d'or estimées à 27 milliards de dollars et les réserves de devises étrangères d’environ 10,53 milliards de dollars, pour rembourser les dettes bancaires et restituer les fonds des déposants. Or, le FMI s’oppose fermement à cette approche, considérant qu’elle équivaut à un bail-out financé par l’État, une solution qu’il décourage systématiquement pour préserver ses propres chances de récupérer ses fonds en cas de programme d’aide. Il privilégie plutôt un bail-in, impliquant la conversion d’une partie des dettes en actions bancaires et des haircuts ciblés, avec une protection des petits déposants. Jusqu’à présent, toutes les propositions de plan de redressement libanais étaient alignées sur ces recommandations.
Scénarios d’un accord avec le FMI
Au-delà des défis techniques, un rapport de Bank of America, intitulé "A Window of Opportunity", souligne que si « le gouvernement technocratique et cohérent du Premier ministre Salam offre des perspectives positives pour les réformes », il reste soumis à un droit de veto implicite exercé par les alliés du Hezbollah. Toutefois, les marchés semblent pour l’instant accorder un sursis à l’exécutif. Selon le rapport, trois scénarios se dessinent pour l’avenir du Liban :
1. Un statu quo jusqu’aux élections législatives de mai 2026, maintenant le pays dans une impasse.
2. Un programme non conventionnel avec le FMI, tolérant un usage plus souple des fonds publics pour absorber les pertes bancaires, soutenu par la communauté internationale. Ce scénario serait moins favorable aux détenteurs d’euro-obligations que le programme traditionnel du FMI, dans la mesure où l’État absorberait une part importante des dettes contractées dans le cadre de la restructuration bancaire. Néanmoins, un soutien politique international pourrait pousser le FMI à valider cette approche, d’autant plus que la réévaluation du PIB nominal, de 18 à 25 milliards de dollars, offrirait une plus grande marge de manœuvre pour assurer la viabilité de la dette.
3. Un programme conventionnel avec le FMI, qui pourrait se concrétiser si les technocrates parviennent à convaincre la classe politique de la nécessité d’adopter des mesures économiques impopulaires. Selon les analystes, une reconstruction accélérée du pays pourrait être un levier incitant les forces politiques réticentes à accepter cet accord.
Trois certitudes pour la prochaine étape
Malgré l’incertitude qui entoure le calendrier et la mise en œuvre des réformes, trois éléments semblent incontournables :
- Un accord avec le FMI est inévitable pour bénéficier de l’aide internationale, même si sa forme reste à définir.
- Le rôle central du ministère des Finances, et plus particulièrement du ministre, dans l’élaboration des réformes financières, qu’il s’agisse du secteur bancaire, du secteur privé ou de la gestion des dépenses publiques et de la restructuration de la fonction publique. Les épargnants semblent désormais prioritaires, comme l’indiquent Bank of America et JP Morgan, qui estiment que toute décision économique positive devrait bénéficier avant tout aux déposants, plutôt qu’aux créanciers obligataires.
- Le financement du secteur bancaire dépendra de la restructuration de la dette en euro-obligations.
S’imaginer que ceux qui ont survécu à cinq années de naufrage économique pourraient aisément supporter encore quelques mois de paralysie avant l’application des réformes est une illusion. L’ampleur des pertes, aggravée par le coût de la guerre, dépasse la capacité du Liban à s’en sortir seul. Or, ces réformes et l’accord avec le FMI en sont le passage obligé. Attendre les prochaines élections législatives pour respecter ces engagements n’est pas une option viable. Car si la lenteur des réformes n’a pas garanti la sécurité par le passé, cette fois-ci, la précipitation ne rime pas nécessairement avec regret.