Ces dernières années, les déposants ont entendu une cacophonie de promesses sur la protection de leurs fonds, mais sans jamais voir la couleur de leur argent. À l’exception des circulaires 158 – après modification – et 166, qui ont permis de restituer une infime partie des droits à leur valeur réelle, les précédentes promesses ont abouti à une dilution de près de la moitié des dépôts. En effet, ceux-ci sont passés de 178,6 milliards de dollars en 2018 à environ 86 milliards au début de 2025. En parallèle, près de 40 milliards de dollars de dépôts en livres libanaises ne valent plus aujourd’hui que 500 millions de dollars en raison de l’effondrement du taux de change, tandis qu’au moins 12 milliards de dollars ont été « exfiltrés » au début de la crise. Quant aux dépôts restants, ils ont été remboursés en dollars à une valeur bien inférieure à leur montant initial.
Aujourd’hui, à l’aube d’un nouveau mandat, les promesses de “protection” des déposants se répètent. Mais seront-elles enfin appliquées, et de quelle manière ? Ou connaîtront-elles le même sort que celles qui les ont précédées ? et …Qu’en est-il de la restitution ?
Un nouvel engagement présidentiel… et une priorité gouvernementale ?
« Je m’engage à ne pas transiger sur la protection des fonds des déposants », a déclaré le Président de la République dans son discours d’investiture. Une déclaration renforcée par l’avant-projet de déclaration ministérielle, qui affirme que les dépôts « seront une priorité » et promet « l’élaboration d’un plan global, conforme aux meilleures normes internationales, visant à préserver les droits des déposants ». Le gouvernement s’engage également à négocier un nouveau programme avec le Fonds monétaire international (FMI).
Une flexibilité accrue dans la répartition des pertes
Dans la recherche d’une solution à la crise des dépôts, certains responsables bancaires estiment que le FMI fera preuve d’une flexibilité accrue dans la répartition des pertes du système bancaire.
« On peut en déduire un assouplissement de sa position sur l’utilisation des actifs publics pour combler les pertes – autrefois un tabou pour le FMI – avec l’inclusion dans le dernier plan gouvernemental d’un fonds de récupération des dépôts », affirme une source bancaire. Pour autant, ce fonds reste un concept flou : son financement n’a pas été clairement défini et repose sur des critères vagues, tels que le dépassement de certaines normes de revenus publics, la réduction de la dette publique en dessous d’un seuil cible, ou encore le maintien des dépenses sociales et du financement du déficit budgétaire en dehors de la Banque du Liban.
Reconnaître la nature systémique de la crise, une condition préalable
Pour parvenir à une répartition équitable des pertes et à la restitution des dépôts, il est impératif de reconnaître que la crise est systémique et d’assumer pleinement la responsabilité de la Banque du Liban (BDL), plutôt que de se contenter de sa recapitalisation à hauteur de 2,5 milliards de dollars, estime la même source bancaire.
« L’audit judiciaire d’Alvarez & Marsal a révélé que la perte des fonds est due aux politiques monétaires de la BDL. Pourtant, la Banque centrale dispose d’actifs dépassant 35 milliards de dollars, dont 10,4 milliards en liquidités et plus de 25 milliards en or, qui devraient être restitués aux déposants », poursuit la source. De plus, près de 20 milliards de dollars de dépôts convertis de livres en dollars après 2019 doivent être remboursés à leur valeur réelle, en éliminant l'excédent d’intérêts. Une telle approche permettrait de résoudre plus des deux tiers du problème sans recourir à un « haircut » ni pénaliser injustement les banques et les déposants.
Dans tous les cas, la restauration de la confiance suffirait, à elle seule, à résoudre la crise des dépôts, ajoute la source. Si les déposants retrouvaient foi dans le système, ils n’auraient plus besoin de retirer plus d’argent que nécessaire. Il est également essentiel d’accorder à chaque banque la possibilité de se restructurer selon des critères clairs de liquidité et de solvabilité, dans un délai défini.
Fuite des banques devant leurs responsabilités
Ce que proposent les banques n’est rien d’autre qu’un désengagement de leurs responsabilités, comme si elles n’avaient commis aucune erreur, estime l’expert bancaire Nicolas Chikhani.
« Elles ont violé l’un des principes fondamentaux du secteur, qui interdit de prêter plus de 20 % du capital à un seul client en devises étrangères. Or, elles ont massivement placé les dépôts auprès d’un seul emprunteur : la Banque du Liban, sachant pertinemment que ces fonds serviraient à financer un État en faillite », souligne-t-il.
« À cela s’ajoute l’exfiltration arbitraire d’au moins 12 milliards de dollars dès le début de la crise, la prise de risques inconsidérés et leur incapacité à reconstituer leur capital », poursuit Chikhani. Pour lui, les banques doivent assumer une part de responsabilité et couvrir au minimum 25 % du déficit (soit environ 19 milliards de dollars si l’on estime le trou financier à 76 milliards), le reste devant être réparti entre l’État et la Banque du Liban.
Il insiste également sur la nécessité de rembourser les dépôts dans leur devise d’origine ou en livres au taux du marché, au lieu d’adopter un remboursement partiel et discriminatoire, comme le prévoyait le dernier plan gouvernemental. De toute manière, la masse monétaire augmentera et les déposants ont déjà subi une dévaluation de 50 % de leurs avoirs. Ils devraient encore perdre entre 20 et 30 % supplémentaires en raison de l’inflation et de l’érosion monétaire si les remboursements s’étalent sur six ans. « Il est inacceptable de leur imposer davantage de pertes », conclut-il.
Quelles solutions pour éviter une nouvelle hémorragie ?
Parmi les pistes évoquées, le projet de loi du président de la commission parlementaire de l’Économie et du Commerce, le député Farid Boustani, propose un retour à une discipline financière pour les banques, l’État et la Banque du Liban.
Les banques, confrontées à une double crise – de liquidité, en raison de la fuite des capitaux, et de solvabilité, puisque tous leurs dépôts sont logés à la BDL – doivent être les premières à contribuer à la solution, insiste Chikhani.
« Si elles ne le font pas, elles courent à leur perte, car le FMI refusera catégoriquement qu’elles échappent à leurs responsabilités », prévient-il.
Jusqu’à présent, les promesses, aussi cruciales soient-elles, restent floues. Que signifie exactement « rembourser les dépôts selon les normes internationales » ? Va-t-on adopter un système de bail-in (financement par les actionnaires et les déposants) ou un bail-out (prise en charge par l’État) ? Le gouvernement s’inspirera-t-il de l’Islande, qui avait imposé une restructuration sévère à son secteur bancaire après la crise de 2008, ou suivra-t-il le modèle américain, qui avait opté pour un renflouement des banques et des compagnies d’assurance ?
Pour l’instant, aucune réponse claire n’émerge, si ce n’est la volonté des banques de camper sur leurs positions. Une situation qui, au final, risque d’entraîner une seconde spoliation des déposants.