L'opération "Déluge d'Al-Aqsa", lancée par le mouvement Hamas le 7 octobre 2023 et dont les répercussions se poursuivent encore aujourd’hui, a engendré des conséquences paradoxales. D’un côté, elle a porté un coup dur à un processus de normalisation en cours avec Israël, d’un autre côté, elle a alourdi, peut-être involontairement, le fardeau du concept d’un État palestinien, le rendant aujourd’hui bien plus difficile à concrétiser.
Annexion de la Cisjordanie et gouvernance municipale
Depuis son premier mandat (2016-2020), le président américain Donald Trump a toujours nourri l’ambition de parvenir à une paix entre les Arabes et Israël, autrement dit, d’imposer la normalisation aux pays arabes. Aujourd’hui, avec "Trump 2" qui se distingue de son premier mandat par certains ajustements, l’objectif de pacification du Moyen-Orient demeure inchangé. L’enjeu est aussi personnel : il aspire à décrocher le prix Nobel de la paix et à graver son nom parmi les présidents américains les plus influents de l’histoire de la région, s’il parvient à imposer un accord entre Israéliens, Palestiniens et États arabes, là où ses prédécesseurs ont échoué.
Ce défi colossal soulève plusieurs questions fondamentales : une paix durable est-elle réellement possible ? Sur quelles bases repose-t-elle pour Israël ? Peut-on dissocier le processus de normalisation et l’élargissement des accords d'Abraham de la question palestinienne ? Ou bien la question palestinienne est-elle centrale et nécessite-t-elle une solution juste ? Avec quel partenaire israélien peut-on négocier ? Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, est-il capable de parvenir à la paix ?
La dernière question semble être la plus pressante aujourd’hui, car Netanyahu rejette tout compromis. Il est le chef de gouvernement israélien le plus radical et celui qui a occupé le poste le plus longtemps. Son expérience, son assise populaire et son ancrage idéologique lui permettent d’opposer une fin de non-recevoir à toute concession envers les Palestiniens. Mieux encore, il a osé aller bien au-delà des attentes en procédant à des changements stratégiques dans la région que personne n’aurait pu anticiper.
Netanyahu, en raison de ses crises internes, n’avait d’autre choix que d’opter pour une politique de violence exacerbée. Il n’aurait pas reculé sans la pression exercée par le président américain actuel, même avant son arrivée à la Maison-Blanche. Mais Trump lui-même ne comprend pas mieux que Netanyahu la réalité des peuples du Moyen-Orient et leur attachement à leur identité, comme en témoignent ses appels à la déportation des Palestiniens, même s’il a nuancé ses propos par la suite. De plus, il ne semble pas saisir l’essence même de la cause palestinienne, qui est celle d’un peuple déraciné refusant de répéter l’erreur de ses ancêtres, trompés par de fausses promesses en 1948, et dont le droit au retour (résolution 194) n’a jamais été appliqué.
Toutefois, l’administration Trump n’a pas officiellement rejeté la solution des deux États, que ce soit par conviction ou par réalisme. Elle cherche aujourd’hui à dissocier les négociations israélo-palestiniennes du projet de paix abrahamique, lequel porte une vision américaine ambitieuse d’une stabilité régionale fondée sur l’intégration sécuritaire, économique, sociale et environnementale. Cette normalisation constituerait un préalable incontournable à cette vision.
Dans cette optique, Washington tente de convaincre les pays arabes de marginaliser la question palestinienne et d’isoler Hamas après les frappes subies par le mouvement, tout en affaiblissant davantage l’Autorité palestinienne, conformément aux souhaits de Netanyahu. L’objectif israélien étant de revenir à une situation similaire à celle qui prévalait avant l’Intifada de 1987 (La guerre des pierres), en imposant aux Palestiniens des solutions administratives et municipales sous supervision israélienne, voire directement contrôlées par l’État hébreu, tout en poursuivant l’annexion progressive de la Cisjordanie.
La normalisation, un facteur d’instabilité
Après les appels répétés de Trump à expulser les Palestiniens, notamment les Gazaouis, vers le Sinaï et la Jordanie, le monde arabe a largement réagi par un rejet catégorique et des condamnations. Cette fois, la position des pays arabes est solide : le droit international et l’opinion publique mondiale les soutiennent contre de telles pratiques, désormais considérées comme obsolètes. La communauté internationale continue de défendre la solution des deux États, qui reste l’issue privilégiée pour le dernier peuple encore exilé de son territoire.
Il faudra du temps avant que Washington ne prenne conscience de l’impasse dans laquelle elle s’est engagée en voulant dissocier la question palestinienne du processus de normalisation. D’ici là, Netanyahu pourrait continuer à affaiblir l’Autorité palestinienne, à éroder son influence et à prolonger son offensive en Cisjordanie, alors que la guerre s’achève à Gaza. Le statu quo se maintiendra donc en attendant l’émergence d’un partenaire israélien prêt à négocier un accord avec les Palestiniens, ce qui risque de prendre encore de longues années.
L’éviction du Hamas
Du côté palestinien, malgré l’apparente victoire, le Hamas a dû se mettre en retrait. Il s’intègrera progressivement à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et à l’Autorité palestinienne, quelle que soit la forme que prendra cette dernière. Hamas a également consenti à la mise en place d’un comité humanitaire supervisé par des acteurs arabes pour la reconstruction de Gaza, excluant ainsi son implication directe dans l’avenir du territoire. Cela signifie son éviction de la gouvernance de Gaza, dans un contexte où des projets de développement sont en discussion, avec une enveloppe de 20 milliards de dollars envisagée pour construire 200 000 unités de logement en trois ans et permettre aux Gazaouis de rester sur leur terre.
Toutefois, la question centrale demeure : de quel État palestinien parle-t-on ? Plus de 31 ans après les accords d’Oslo, les Palestiniens se retrouvent aujourd’hui dans une position de faiblesse extrême, bien loin des ambitions initiales. Ces accords, perçus à l’époque comme une étape vers un État, n’étaient en réalité qu’un cadre pour une autonomie transitoire. Or, les questions cruciales ont été reportées sine die, laissant l’avenir d’un véritable État palestinien plus incertain que jamais.