Dès son obtention de la confiance du Parlement, le gouvernement du Premier ministre Nawaf Salam se lancera dans un vaste chantier de réformes politiques, économiques, financières et de reconstruction, visant à mettre un terme à l’effondrement dans lequel le pays est plongé depuis 2019.
Au cœur de ces réformes, le dossier des élections législatives prévues au printemps 2026 qui occupera une place centrale dans l’agenda politique. Les forces en présence se préparent déjà à cette échéance enjeu électoral crucial, perçu comme une opportunité de renouvellement du paysage politique. Avec un président de la République et un Premier ministre issus de l’extérieur de la classe politique traditionnelle, cette échéance suscite l’espoir d’un rééquilibrage des forces et d’un début de changement.
Loi Électorale Taillée Sur Mesure
Conformément aux dispositions de l’Accord de Taëf, que le président Joseph Aoun et le Premier ministre Salam ont réaffirmé dans leurs discours d’investiture, il serait logique que la réforme électorale s’aligne sur ses principes fondamentaux. Or, depuis les premières élections législatives de 1992, le Liban a systématiquement dérogé aux dispositions du texte, en adoptant des lois électorales façonnées a la mesure des intérêts des forces politiques dominantes.
Toutes ces lois ont reposé sur un système majoritaire, à l’exception de celles ayant régi les scrutins de 2018 et 2022, qui ont introduit une dose de proportionnelle sans pour autant rompre complètement avec le modèle majoritaire. À l’époque, certains espéraient que cette réforme partielle ouvrirait la voie à une adoption pleine et entière du système proportionnel, conformément à l’esprit et à la lettre de Taëf.
L’accord de Taëf précise pourtant, dans le chapitre sur les réformes politiques, que :
-La circonscription électorale doit être le Mohafaza.
-La répartition des sièges doit être équilibrée entre musulmans et chrétiens, proportionnelle aux confessions et aux régions, jusqu’à ce qu’un Parlement soit élu sur une base non confessionnelle.
De plus, l’Accord stipule que les élections doivent être organisées selon un nouveau code électoral, basé sur le Mohafaza comme unique circonscription, garantissant la cohésion nationale, une représentation équitable et une efficacité accrue du scrutin. Cette réforme devrait être accompagnée d’une révision de la division administrative, garantissant l’unité du territoire et des institutions.
Vers un Débat Explosif
Toute tentative de réforme électorale risque de raviver les tensions politiques si les parties prenantes ne tiennent pas leurs engagements répétés à appliquer l’Accord de Taëf de manière stricte.
Respecter cet accord impliquerait l’adoption d’un scrutin proportionnel au niveau du Mohafaza, en mettant un terme au système majoritaire excluant de larges segments de la population du Parlement.
Historiquement, les modifications du découpage électoral ont toujours servi les intérêts des acteurs en place.
-En 1992, le gouvernorat a été retenu comme circonscription, sauf au Mont-Liban, où le caza (district) a été privilégié pour répondre aux exigences de Walid Joumblatt (chef politique héréditaire de la communauté druze du Liban et aussi une personnalité influente de la communauté druze du Proche-Orient) et d’autres figures influentes.
-En 1996, le président Élias Hraoui a imposé le découpage en districts dans la Békaa en raison d’un désaccord avec le président du Parlement Hussein Husseini sur l’application de certaines dispositions de Taëf.
Quelles options ?
Avec la formation imminente du gouvernement, le débat autour du nouveau code électoral s’annonce houleux. Deux options principales sont envisagées :
1. Un scrutin proportionnel basé sur le gouvernorat comme unique circonscription et une réforme du vote préférentiel, qui reste une source de controverses.
2. Un scrutin proportionnel à l’échelle nationale, avec deux voix préférentielles par électeur, comme le propose le président du Parlement Nabih Berri et d’autres acteurs politiques. Ce modèle nécessiterait cependant une transformation du Liban en « État des partis », similaire aux systèmes électoraux occidentaux.
Une Réforme Électorale Toujours Inachevée
Plusieurs réformes prévues par l’Accord de Taëf n’ont jamais vu le jour ou ont été appliquées de manière partielle et biaisée. Parmi elles, la création d’un Sénat représentant les communautés religieuses et limité aux questions de souveraineté nationale. Ce Sénat devait être instauré parallèlement à l’élection d’un Parlement sur une base non confessionnelle.
Or, depuis 1992, toutes les élections législatives ont été organisées sur une base confessionnelle, empêchant la mise en place du Sénat et freinant toute évolution vers un modèle véritablement laïc.
Un Parlement Sans Pouvoir de Sanction
Un autre point clé de Taëf stipule que le Parlement doit exercer un contrôle total sur le gouvernement et avoir la capacité de le sanctionner. Pourtant, aucune Chambre des députés depuis 1992 n’a censuré un gouvernement ni retiré sa confiance à un cabinet en exercice.
La cartographie électorale : Un Outil Politique
L’Accord de Taëf prévoit également une révision du découpage administratif, visant à renforcer la cohésion nationaleet l’unité du territoire. Cependant, cette disposition a été instrumentalisée par les acteurs politiques, qui l’ont exploitée à des fins électoralistes.
Ainsi, plusieurs gouvernorats ont été créés selon des considérations purement électorales, comme :
-Akkar et Baalbek-Hermel, devenus des entités administratives distinctes.
-Kesrouan-Jbeil, annoncé mais sans décret d’application.
-Nabatiyeh, détaché du Sud pendant la guerre civile.
Malgré ces ajustements, aucune de ces nouvelles entités n’a permis de garantir un développement équilibré des régions ni d’améliorer l’accès aux services publics.
Quelle loi électorale sera adoptée ?
Le Liban est à un tournant politique crucial. Le prochain code électoral déterminera non seulement la composition du futur Parlement, mais aussi l’orientation des réformes politiques et institutionnelles.
Le respect de l’Accord de Taëf nécessiterait une loi électorale proportionnelle à l’échelle du Mohafaza. Mais l’histoire récente montre que les intérêts politiques dictent souvent les décisions en matière électorale.
Alors, quelle sera la formule retenue ? Réponse dans les mois à venir.