À l’aube de la cinquième année de l’effondrement économique, le Liban semble avoir trouvé une voie de sortie avec un minimum de réformes. C’est du moins l’analyse que partagent de nombreux observateurs économiques, et pas seulement ceux qui misent sur les évolutions géopolitiques pour briser l’isolement du pays.
Un ratio dette/PIB en nette baisse
Le premier obstacle historique, à savoir le niveau alarmant de la dette publique par rapport au PIB, qui entravait le retour du Liban sur les marchés financiers, s’est résolu de lui-même. Alors que ce ratio dépassait 170 % avant l’effondrement, il ne s’élève aujourd’hui qu’à 31 %, bien en deçà du seuil de 100 % exigé par le FMI et les instances internationales dans le cadre des réformes attendues.
La valeur réelle de la dette en devises étrangères, notamment les euro-obligations, se chiffre actuellement à environ 5 milliards de dollars, sur la base d’un cours de 17 cents par dollar sur les marchés internationaux, contre 30 milliards de dollars représentant le principal de la dette. Selon les meilleures prévisions de J.P. Morgan, cette valeur pourrait grimper à 9 milliards de dollars si le prix des obligations atteint 30 cents par dollar.
Quant à la dette en livres libanaises, estimée avant l’effondrement à près de 60 milliards de dollars, sa valeur réelle a fondu à environ 700 000 dollars, après la dépréciation de la monnaie nationale, passée de 1 500 livres pour un dollar à 89 500 livres. En ajoutant divers prêts de la Banque mondiale et d’autres créanciers étrangers, d’un montant global de 3 milliards de dollars, la dette réelle actuelle avoisine 10 milliards de dollars, sur un PIB récemment évalué à 32 milliards de dollars par l’Institute of International Finance (IIF).
Les dépôts bancaires en chute libre
Le deuxième problème, celui du remboursement des dépôts bancaires, est également jugé "solvable" par de nombreux experts. Les dépôts en devises étrangères sont passés d’environ 120 milliards de dollars avant la crise à 86 milliards actuellement, dont près de 90 % sont bloqués à la Banque du Liban. Celle-ci dispose pourtant de réserves en devises estimées à 10,5 milliards de dollars et d’un stock d’or évalué à 27 milliards de dollars, représentant à eux seuls 50 % des dépôts bancaires.
Quant au reste, il pourrait être couvert par les liquidités des banques dans leurs comptes à l’étranger, estimées à plus de 5 milliards de dollars, et par un Fonds de restitution des dépôts, financé par l’exploitation des actifs et infrastructures publiques, à condition de les rendre rentables. La restauration de la confiance, le retour des investissements et la reprise des activités bancaires permettraient de limiter les pressions sur les retraits massifs et de les ramener à des besoins maîtrisables.
Une réalité plus sombre qu’annoncée
Mais ce tableau optimiste cache une réalité bien plus sombre. Le défaut de paiement de la dette publique en dollars menace d’entraîner une crise économique encore plus profonde. Plusieurs banques libanaises se préparent à engager des poursuites judiciaires contre l’État avant l’échéance du 9 mars prochain. L’Association des Banques du Liban a déjà distribué un mémo aux détenteurs d’euro-obligations les informant de la décision de son conseil d’administration d’engager des procédures légales contre l’État pour non-paiement, afin de protéger les droits des créanciers.
Cette décision intervient malgré l’approbation par le Conseil des ministres, le 7 janvier 2025, d’une suspension du droit de l’État à invoquer la prescription jusqu’au 9 mars 2028. Or, selon l’Association des Banques, cette procédure pourrait avoir des conséquences désastreuses sur l’économie nationale, alourdir davantage la dette publique et inciter d’autres créanciers internationaux à engager des actions similaires, aggravant la crise au lieu de la résoudre.
Quant à la dette locale, qui a perdu plus de 90 % de sa valeur, la charge a été entièrement reportée sur les déposants, en particulier ceux qui avaient leurs avoirs en livres libanaises et ont ainsi perdu l’intégralité de leurs économies.
Des dépôts sacrifiés plutôt que restitués
L’espoir de récupérer les dépôts s’amenuise. Le stock d’or est protégé par la loi, et il est peu probable que des partis politiques osent y toucher avant les prochaines élections législatives, davantage par calcul électoral que par conviction économique. De plus, un tiers des réserves en or, soit environ 9 milliards de dollars, est stocké dans les coffres de la Réserve fédérale américaine à Fort Knox, et son éventuelle monétisation s’annonce complexe.
L’exploitation des actifs de l’État relève quant à elle d’un vœu pieux tant que les forces politiques refusent de renoncer aux privilèges du secteur public et que les instances de régulation ne sont pas mises en place. Dans ces conditions, le fonds promis pour la restitution des dépôts risque de se transformer en un fonds de liquidation, entérinant leur disparition plutôt que leur restitution.
Un avenir incertain : entre relance et enfoncement
Le Liban se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins : entre une sortie progressive de la crise et une enlisement prolongé. D’après le dernier rapport de l’IIF, les chances de succès et d’échec sont équilibrées à 50/50.
Les facteurs de blocage restent inchangés : mauvaise gouvernance, divisions politiques et confessionnelles, corruption généralisée et absence de politiques publiques efficaces. Si aucun changement politique majeur n’a lieu lors des prochaines législatives, il est peu probable qu’un futur gouvernement parvienne à faire adopter les réformes structurelles nécessaires.
Dans ce contexte, un accord avec le FMI demeure hors de portée, et l’aide internationale se limitera probablement à une assistance humanitaire, insuffisante pour financer la reconstruction du pays. L’économie ne croîtra en moyenne que de 3 % entre 2025 et 2029, avec une monnaie toujours faible et une inflation persistante. Le déficit du compte courant restera élevé, oscillant entre 9 et 10 % du PIB, et les réserves en devises pourraient chuter de 10,1 milliards de dollars en 2024 à moins de 7 milliards en 2029.
Un scénario de redressement ?
Si, en revanche, des réformes profondes sont mises en œuvre, la situation pourrait basculer radicalement. Selon l’IIF, un scénario de réforme permettrait au Liban d’attirer 12,5 milliards de dollars d’aide internationale immédiate et 10 milliards de dollars d’investissements directs étrangers, notamment en provenance des pays du Golfe. Le PIB atteindrait alors 54 milliards de dollars d’ici 2028, avec un taux de croissance de 6,2 % par an, porté par la reprise du tourisme, la restauration des exportations vers l’Arabie saoudite et la réduction du commerce illégal avec la Syrie.
Dans ce cas, la dette publique, actuellement de 136 % du PIB, chuterait à 53 % d’ici 2029, grâce à une restructuration des euro-obligations, à une gestion plus rigoureuse des finances publiques et à un retour de la croissance.
Au final, le seul et unique enjeu reste la réforme. Car si le Liban a jusqu’ici réussi à "dompter" ses crises grâce à des artifices et des demi-mesures, l’absence de réformes condamnera inévitablement le pays à l’échec dans les années à venir.