Le Premier ministre Nawaf Salam a qualifié son cabinet de « gouvernement de réforme et de sauvetage », tout en reconnaissant qu' « il est difficile de former un gouvernement qui satisfasse tout le monde à la fois ». Il a néanmoins promis que cette équipe serait « un groupe homogène, engagé dans le principe de solidarité ministérielle ». Salam a insisté sur le fait que la diversité des membres ne serait en aucun cas un obstacle à son fonctionnement, affirmant que « le gouvernement ne sera pas une arène de querelles et de conflits mesquins, mais un espace de travail commun et constructif ».
Malgré les déclarations de l’émissaire américaine Morgan Ortagus sur la « défaite » du Hezbollah et l’appel à son exclusion du gouvernement, le cabinet formé reflète un équilibre notable, fruit de négociations ardues et de discussions intenses entre les différentes parties prenantes. Ces pourparlers, menés jour et nuit, ont été marqués par une volonté ferme d’éviter le blocage habituel, qui prolonge souvent la formation des gouvernements au Liban pendant des mois, voire plus d’un an, en l'absence de toute disposition constitutionnelle imposant un délai pour la composition ou le retrait. Cette fois-ci, le gouvernement a vu le jour en un temps record, moins d’un mois après la désignation de Salam.
Un équilibre délicat entre les forces politiques
Sur le plan des équilibres politiques, le Courant patriotique libre et le Courant des Marada (partis politiques chrétiens) ont été écartés, tout comme les blocs parlementaires sunnites. En revanche, les Forces libanaises (parti politique chrétien) ont obtenu des portefeuilles stratégiques, tandis que le duo chiite (Hezbollah et Amal) ainsi que le Parti des Kataëb (parti politique chrétien) (ministère de la Justice) sont également représentés. Salam a nommé les quatre ministres sunnites ainsi que des ministres issus d’autres confessions, comme Ghassan Salamé et Tarek Mitri.
L’ancien chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, a obtenu l’intégralité de la part druze, avec deux ministères clés (Travaux publics et Agriculture), tandis que le parti Tachnag (parti politique arménien) s’est vu attribuer le portefeuille de la Jeunesse et des Sports.
Le président de la République, le général Joseph Aoun, s’est illustré dans son rôle d’arbitre, conformément à son engagement lors de son discours d’investiture. Contrairement à ses prédécesseurs, il n’a pas revendiqué de « part présidentielle » dans la composition du gouvernement. Au contraire, il a prodigué des conseils et facilité les négociations, notamment lorsque les pourparlers semblaient s’enliser. Traditionnellement, le président joue un rôle décisif dans la nomination des ministres des Affaires étrangères, de la Défense et de l’Intérieur. Lorsqu’un désaccord a surgi sur le ministère des Affaires étrangères, Aoun a facilité le processus en écartant la candidature de l’ambassadeur Naji Abi Assi au profit de l’ambassadeur Youssef Raji, un compromis accepté par les Forces libanaises, qui revendiquaient ce portefeuille.
De même, Aoun et Salam se sont entendus sur d’autres nominations maronites et issues d’autres confessions, ce qui a accéléré la formation du gouvernement, notamment après la résolution du différend concernant le cinquième ministre chiite entre Salam et le duo chiite.
L’absence de représentation du Courant patriotique libre et du Courant des Marada s’explique officiellement par leur refus des portefeuilles proposés, jugés « secondaires ».
Une course aux résultats
Tous les partis représentés dans le gouvernement semblent déterminés à démontrer leur efficacité, chacun cherchant à marquer des points dans les ministères qu'il dirige. Cette dynamique s’inscrit dans la perspective des élections législatives prévues au printemps 2026. Auparavant, des élections municipales et locales, reportées de l’année précédente, auront lieu au printemps prochain. Ces scrutins seront perçus comme un test de popularité pour les forces politiques, qui s’en serviront pour préparer les législatives.
Les Forces libanaises, par exemple, mettront tout en œuvre dans les ministères qui leur ont été attribués, notamment le ministère de l'Énergie, dans un contexte de crise électrique aiguë. La question de l’extraction de pétrole et de gaz offshore est également cruciale, tout comme la gestion du ministère des Télécommunications, qualifié un jour par le président du Parlement Nabih Berri de « pétrole du Liban ». Les autres forces politiques adopteront des stratégies similaires pour se distinguer.
Les défis à venir
Ce gouvernement est appelé à rester en place jusqu’aux élections législatives de 2026. Il devra non seulement adopter une nouvelle loi électorale pour ce scrutin, mais aussi lancer un vaste chantier de réformes à tous les niveaux.
L’un des défis majeurs sera de restaurer la confiance du monde arabe et de la communauté internationale envers le Liban, en attirant des investissements et des aides pour la reconstruction et en réformant le secteur financier et bancaire. Les réformes réclamées par les partenaires internationaux depuis avant la révolution du 17 octobre 2019 seront indispensables pour atteindre la reprise économique et financière tant attendue.
À ce propos, Salam a déclaré après la formation de son gouvernement : « Je sais que le mandat de ce gouvernement est limité, mais les souffrances et les besoins des gens ne se mesurent pas à la durée de vie des gouvernements ». Il a également insisté sur la « coopération totale » avec le président de la République.
Le programme gouvernemental
Selon des sources proches du dossier, la rédaction de la déclaration ministérielle ne devrait pas poser de problème. Elle s'appuiera sur les grands axes du discours d’investiture du président Aoun, qui a reçu un large soutien, notamment en insistant sur son rôle d’arbitre entre les institutions.
La question épineuse des armes, et l’affirmation de l’exclusivité de l’État dans ce domaine, pourrait susciter des tensions. Aoun a proposé l’adoption d'une « stratégie de défense nationale » pour résoudre ce point. Il est probable que le gouvernement se réfère à l’accord de Taëf pour parvenir à un consensus sur cette question.
Cet accord, dans la section « C » du chapitre « Troisièmement – Libération du Liban de l'occupation israélienne », stipule : « Prendre toutes les mesures nécessaires pour libérer l’ensemble des territoires libanais de l'occupation israélienne, étendre la souveraineté de l’État sur tout le territoire et déployer l'armée libanaise sur la frontière reconnue internationalement, tout en renforçant la présence des forces internationales au Sud-Liban pour assurer le retrait israélien et rétablir la sécurité et la stabilité dans la région frontalière ».
Dans tous les cas, Salam a placé au sommet des priorités de son gouvernement l’idée que « la réforme est la seule voie vers un véritable sauvetage ». Cela implique, selon lui, de garantir la sécurité et la stabilité au Liban, en poursuivant la mise en œuvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU et du cessez-le-feu, tout en assurant le retrait israélien de l'ensemble du territoire libanais. Il a souligné que la reconstruction « n’est pas une promesse, mais un engagement ».
Enfin, Salam a précisé que le gouvernement, en coopération avec le Parlement, devra achever la mise en œuvre de l'accord de Taëf et poursuivre les réformes financières et économiques, en insistant sur la création d’un pouvoir judiciaire indépendant.
Les informations disponibles indiquent que la rédaction de la déclaration ministérielle ne prendra pas de retard, la première ébauche ayant été préparée en parallèle des discussions sur la formation du gouvernement. Ce dernier devrait obtenir une majorité confortable au Parlement, malgré le refus des partis non représentés de lui accorder leur confiance.