Selon Transparency International, le Liban se classe 149e sur 180 pays en matière d’indice de perception de la corruption, avec un score alarmant de 24 sur 100. Ce classement place le pays bien en dessous de la moyenne mondiale et régionale, avec des répercussions profondes sur les plans politique, économique et social. L'image du Liban sur la scène internationale est ternie, tandis que la confiance des citoyens envers leurs institutions publiques et privées s'effrite.
La corruption au Liban a cessé d'être une simple pratique déviante pour devenir une véritable culture. Qu'il s'agisse de citoyens ordinaires, de fonctionnaires, d'entrepreneurs ou de hauts responsables, la corruption est perçue comme un moyen d’enrichissement ou un levier pour faciliter ses affaires, souvent justifiée par la notion de "chatara" (malice ou débrouillardise). Cette mentalité s’est amplifiée après la guerre 1975-1991c, faisant de la corruption un outil de maintien du pouvoir pour ceux qui ont prospéré dans le chaos.
L’exemple le plus frappant reste l’explosion du port de Beyrouth en 2020, qui a coûté la vie à 220 personnes et causé des dégâts matériels colossaux. Cet événement illustre la corruption sous ses multiples facettes : stockage négligent de matériaux explosifs, absence de surveillance gouvernementale et ingérences dans le système judiciaire pour entraver les enquêtes.
La corruption à la loupe : un fléau multidimensionnel
L’étude de la corruption peut être abordée sous différents angles : économie, science politique, sociologie, psychologie, criminologie, administration publique et droit. Chacune de ces disciplines propose des stratégies pour combattre ce fléau, qui convergent souvent vers des solutions communes : réformer les institutions, offrir des incitations économiques, initier un changement culturel, et corriger les comportements individuels et collectifs qui favorisent la corruption.
Le Liban avait adopté une stratégie nationale de lutte contre la corruption pour la période 2020-2025. Cependant, cette initiative est restée lettre morte, non seulement en raison de l'absence de volonté politique, mais aussi à cause de la crise économique dévastatrice qui sévit depuis 2020. Cette crise a, paradoxalement, alimenté la corruption à tous les niveaux. Malgré la pression internationale et l’adoption récente de lois, telles que la création de l’Autorité nationale de lutte contre la corruption, les autorités libanaises n'ont pas réussi à inverser la tendance.
Les indicateurs de gouvernance mondiale : un miroir pour le Liban
Dans cet article, nous nous concentrons sur l’impact des World Governance Indicators (WGI) pour comprendre les dynamiques de la corruption au Liban. Nos simulations statistiques montrent des liens significatifs entre la gouvernance et trois indicateurs clés : la perception de la corruption, la confiance du public et la performance économique.
Illustration 1 : Indicateurs de la gouvernance mondiale (Source : Banque mondiale).
Les WGI sont des outils de référence utilisés à l’échelle mondiale par les gouvernements, les investisseurs et les touristes pour évaluer la qualité de la gouvernance dans chaque pays. Ils se déclinent en six dimensions : la voix et la responsabilité, la stabilité politique et l'absence de violence/terrorisme, l'efficacité du gouvernement, la qualité de la réglementation, l'état de droit et le contrôle de la corruption. Selon les données publiées annuellement par la Banque mondiale, le Liban figure parmi les pays les plus mal notés, affichant des résultats négatifs sur l’ensemble des indicateurs.
Illustration 2 : La relation entre les indicateurs de la gouvernance mondiale et la performance économique (Source : Nos calculs).
Des répercussions politiques, économiques et sociales majeures
Sur le plan politique, les indicateurs de gouvernance aident à façonner des politiques adaptées aux besoins du pays. La voix et responsabilité, par exemple, est un pilier de la démocratie qui permet d’évaluer la transparence d’un État sur la scène internationale. La transparence et la responsabilité jouent un rôle central dans la lutte contre la corruption, car elles renforcent les pressions internationales sur les pays où elles font défaut. L’absence de réformes en matière de gouvernance a notamment privé le Liban des aides financières internationales indispensables.
Sur le plan économique, une gouvernance efficace est essentielle pour attirer les investissements, moteurs de la croissance. Les investisseurs, qu’ils soient locaux ou étrangers, scrutent les indicateurs de gouvernance avant de s'engager. De plus, le développement économique est directement lié à l'état de droit, qui garantit la protection des droits de propriété, l’exécution des contrats et la réduction de la corruption.
Sur le plan social, la cohésion repose sur la confiance des citoyens envers leurs institutions. En l'absence de cette confiance, des troubles sociaux surgissent inévitablement, alimentés par le mécontentement face à la mauvaise gestion des affaires publiques. L'efficacité des services publics, l'accès équitable à la justice et la réduction des inégalités sont autant de facteurs dépendant de la bonne gouvernance.
Le gouvernement Salam face à un défi titanesque
Que peut faire le gouvernement de Nawaf Salam pour inverser cette tendance ? La réponse réside dans l'amélioration des indicateurs de gouvernance mondiale :
1. Voix et responsabilité : Renforcer l’intégrité des élections, garantir la liberté d'expression et de la presse, protéger les libertés numériques et promouvoir la participation citoyenne sont des mesures indispensables. Il est également crucial de soutenir la société civile, d'améliorer l'accès à l'information et de garantir l'indépendance du système judiciaire.
2. Stabilité politique et absence de violence/terrorisme : Assurer la sécurité, promouvoir l'inclusion sociale et économique, réformer les institutions sécuritaires et lancer des programmes de lutte contre l'extrémisme sont des étapes essentielles pour stabiliser le pays.
3. Efficacité du gouvernement : Optimiser la gestion publique, professionnaliser le recrutement dans la fonction publique, digitaliser les services publics et instaurer une culture de la transparence et de la responsabilité permettront d’améliorer la performance gouvernementale.
4. Qualité de la réglementation : Simplifier les procédures administratives, harmoniser les lois avec les normes internationales et renforcer les institutions de régulation contribueront à créer un environnement propice aux affaires.
5. État de droit : Garantir l'indépendance de la justice, renforcer l'application des lois et protéger les lanceurs d'alerte sont des priorités absolues pour restaurer la confiance dans les institutions.
6. Contrôle de la corruption : Mettre en place des organes de lutte contre la corruption, accroître la transparence des finances publiques, limiter les transactions en espèces et encourager l’usage des technologies numériques dans l'administration sont des mesures clés.
La volonté politique : clé de voûte de toute réforme
Toutes ces mesures ne pourront porter leurs fruits qu’avec une volonté politique réelle des partis au pouvoir. La pression internationale est forte, mais la responsabilité ultime repose sur les épaules des citoyens libanais, qui, à travers leurs choix électoraux et leur engagement civique, détiennent le pouvoir de changer la donne. La question reste ouverte : le gouvernement Salam saura-t-il transformer ces défis en opportunités pour un Liban plus juste et transparent ?