La question palestinienne traverse une phase cruciale, où la question des réfugiés se retrouve au cœur des préoccupations. Les craintes grandissent face à la possibilité que les événements en cours ne soient que le prélude à la concrétisation du vieux rêve israélien de déplacement forcé des Palestiniens – le « transfert » –, une menace directe pour les pays arabes voisins et potentiellement au-delà.
Depuis le lancement par Benyamin Netanyahou de sa guerre à grande échelle contre Gaza, suivie d’une escalade régionale, il est apparu évident que cette offensive visait, entre autres, à pousser les Palestiniens à l’exode, notamment ceux de Gaza. Mais jusqu’à présent, ce scénario ne s’est pas matérialisé.
Ce n'est pas la première menace existentielle pour les Palestiniens. Si la Nakba de 1948 a pris le peuple palestinien au dépourvu dans un contexte de complots arabes et internationaux, l’histoire est jalonnée de projets d’expulsion vers le Sinaï égyptien, la Jordanie, la Syrie, le Liban, l’Irak, voire le Yémen. Aujourd’hui, les pays frontaliers, en particulier l’Égypte et la Jordanie, s’opposent fermement à une telle éventualité, bénéficiant d’un soutien arabe malgré des divergences internes. Car les projets d’États palestiniens de substitution ont toujours constitué une ligne rouge, y compris pour les administrations américaines successives, soucieuses de préserver la stabilité régionale et celle de leurs alliés.
Une conjoncture différente
Cependant, le contexte actuel diffère de celui du passé.
Le monde arabe traverse l’une de ses périodes les plus fragiles, tandis que l’axe iranien, soutien majeur des factions palestiniennes, sort affaibli d’un conflit prolongé. Dans le même temps, une partie de la population palestinienne, à bout face à la situation à Gaza, semble prête à quitter l’enfer du blocus.
Une crainte historique face aux Frères musulmans
Les États arabes ont toujours défendu les résolutions internationales, notamment la résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU garantissant le droit au retour optionnel des réfugiés. Le sommet de Beyrouth en 2002 avait encore réaffirmé ce soutien. Mais au fil des années, la position palestinienne s’est érodée sous le poids des divisions internes. Entre l’intifada de 2000 et la crise actuelle de 2025, le rapport de force a profondément changé.
Cette fragilité a permis à Netanyahou de déployer son nouveau plan. Après l’accord de cessez-le-feu à Gaza, il a immédiatement lancé une offensive contre la Cisjordanie, commençant par Jénine, avant d’étendre progressivement son emprise à travers incursions, expansion des colonies et arrestations massives. L’objectif semble être de transformer la Cisjordanie, après Gaza, en un territoire invivable.
Dans ce contexte, la visite imminente de Netanyahou aux États-Unis et sa rencontre avec Donald Trump sont suivies avec anxiété par les Palestiniens. Ils savent que l’ancien président américain ne plaisantait pas lorsqu’il avait proposé à l’Égypte et à la Jordanie d’accueillir temporairement des réfugiés de Gaza, sans préciser de limite de temps. Washington détient plusieurs leviers de pression, allant de la suspension des aides financières à l’imposition de nouvelles taxes économiques, de quoi fragiliser Le Caire et Amman.
Dès les premières discussions, les deux pays ont opposé un refus catégorique.
Un déplacement massif de population menacerait leur stabilité socio-économique. L’arrivée de centaines de milliers de Palestiniens, dont une partie est acquise aux idéologies islamistes, représenterait un risque majeur.
En Égypte, le régime d’Abdel Fattah al-Sissi a mené une lutte implacable contre les Frères musulmans, mais cette organisation, forte d’une base populaire et d’une longue tradition de clandestinité, reste une menace. Depuis son bras de fer historique avec Nasser en 1955 jusqu’à sa récupération du soulèvement de 2011, elle a démontré sa résilience. Le scénario syrien, où les Frères musulmans ont émergé en tant que force influente, alimente les craintes du Caire face à une résurgence de l’islamisme radical.
En Jordanie, bien que le pouvoir hachémite ait longtemps toléré les Frères musulmans en leur offrant un cadre politique, leur montée en influence, conjuguée aux mutations en Syrie, inquiète Amman. D’autant plus que l’afflux de réfugiés pourrait alimenter de nouveaux foyers de tensions, y compris à l’intérieur même du royaume.
L’Égypte et la Jordanie redoutent aussi l’émergence de groupes armés parmi les réfugiés, susceptibles de mener des attaques transfrontalières contre Israël. Une telle situation pourrait les entraîner dans un affrontement direct avec ces factions, comme la Jordanie en 1970 lors des affrontements sanglants du « septembre noir ».
Si l’Égypte voit dans ce scénario une menace sécuritaire et politique, la Jordanie, où les Palestiniens représentent déjà 45 % de la population, redoute un bouleversement démographique qui mettrait en péril l’équilibre du royaume.
Toutefois, ni les Palestiniens ni ces États n’ont les moyens d’empêcher la mise en œuvre d’un tel plan. Lourdement dépendants de l’aide américaine – 1,5 milliard de dollars par an pour l’Égypte, un montant équivalent pour la Jordanie, dont l’économie est à 40 % sous influence américaine –, leurs marges de manœuvre restent limitées.
Vers un transfert forcé en Cisjordanie ?
Alors que le monde attend les résultats de la rencontre entre Trump et Netanyahou, ce dernier compte bien tirer avantage de la situation pour ancrer son projet expansionniste.
Affaibli sur la scène politique israélienne, il cherche à consolider le soutien de la droite et de l’extrême droite en accélérant la colonisation et en poursuivant la judéisation de la Cisjordanie. Dans le même temps, il mise sur une intensification des opérations militaires, notamment dans le nord du territoire, à Jénine, Tulkarem et Tamoun, avec pour objectif le démantèlement des camps de réfugiés et leur transformation en zones d’habitation contrôlées par Israël.
La stratégie semble claire : créer un fait accompli sur le terrain, tout en exploitant l’impuissance de l’Autorité palestinienne, paralysée politiquement et économiquement.
La crainte d’un scénario similaire à celui de Gaza hante les Palestiniens, d’autant plus que la résistance en Cisjordanie, moins organisée et plus fragmentée qu’à Gaza, pourrait difficilement faire face à une offensive prolongée.
À mesure que Netanyahou avance ses pions, les options des Palestiniens et des pays arabes se réduisent, renforçant le spectre d’un nouveau déplacement forcé, dans l’indifférence de la communauté internationale.