Indépendamment des préoccupations autour du nouveau gouvernement libanais, de ses équilibres et de ses spécificités, censé mener le pays sur la voie du redressement et du rétablissement, deux événements majeurs dominent actuellement la scène politique libanaise et régionale. Leurs répercussions s’annoncent considérables pour le Liban et l’ensemble du Moyen-Orient dans les mois à venir. En effet, ces deux événements s’inscrivent dans le contexte des conflits militaires et politiques qui secouent la région depuis le déclenchement de l’opération « Déluge d'Al-Aqsa » le 7 octobre 2023, une séquence dont le Liban a largement subi les conséquences.

Ces deux événements sont la visite d’Ahmad Al-Sharaa, président de la phase de transition en Syrie, en Arabie saoudite, et celle du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou à Washington.

Sharaa à Riyad : un tournant pour la Syrie post-Assad

La visite d’Al-Sharaa en Arabie saoudite est la première depuis sa prise de fonctions à la tête de la Syrie. Elle pourrait s’avérer être son déplacement diplomatique le plus significatif, à moins qu’elle ne soit suivie d’un voyage en Turquie, pays qui fut le principal soutien du groupe « Hay'at Tahrir al-Sham » dans sa campagne ayant conduit à la chute du régime de Bachar Al-Assad.

Du côté israélien, Benyamin Netanyahou sera le premier dirigeant étranger reçu par le président Donald Trump, deux semaines après son investiture officielle le 20 janvier dernier.

La nouvelle Syrie : entre influences turque et arabe

Depuis le début de la « révolution syrienne » en 2012, de nombreux observateurs du Moyen-Orient anticipent que la visite de al-Sharaa à Riyad posera les bases du nouveau régime syrien qu’il doit établir en collaboration avec les forces politiques syriennes, en remplacement du pouvoir déchu qui a dominé la Syrie pendant plus de cinquante ans. Dans son état actuel, la Syrie reste menacée de fragmentation, notamment en raison des règlements de comptes perpétrés par certaines factions ayant pris le pouvoir.

La question du futur régime syrien est marquée par deux orientations principales :

L’option turque : la Turquie a été le principal soutien du renversement du régime Assad, tant sur le plan militaire que financier. Ce courant prône l’établissement d’un régime inspiré du modèle turc actuel sous l’égide du parti islamo-conservateur « Justice et Développement » (AKP), combinant islamisme politique et sécularisme. Toutefois, cette approche rencontre une opposition ferme de la plupart des États arabes, à l’exception du Qatar, allié d’Ankara.

L’option arabe : Ce courant, soutenu par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Jordanie, l’Égypte et plusieurs autres pays arabes, privilégie une Syrie ancrée dans l’axe régional traditionnel, loin de l’influence des Frères musulmans. La chute du régime des Frères musulmans en Égypte, dirigé par Mohamed Morsi, constitue un précédent qui illustre cette position. La visite d’ Al-Sharaa à Riyad pourrait consacrer cette orientation, même si cela entraîne un bras de fer avec la Turquie. Par ailleurs, les relations turco-iraniennes se sont récemment détériorées, Téhéran ayant perçu le rôle d’Ankara comme une tentative de limiter son influence dans la région.

Dans ce contexte, Al-Sharaa pourrait accélérer la mise en place d’un nouveau régime syrien, sans attendre le délai de quatre ans initialement évoqué après la chute de l’ancien pouvoir.

Trump-Netanyahou : quel avenir pour la région ?

La visite de Benyamin Netanyahou à Washington revêt une importance capitale, car elle pourrait dévoiler les grandes lignes de la politique de la nouvelle administration américaine au Moyen-Orient. Plusieurs questions restent en suspens :

L’après-trêve avec le Liban : La trêve, prolongée jusqu’au 18 février, arrivera-t-elle à son terme avec un retrait israélien des zones frontalières occupées et l’application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU ? Ou bien sera-t-elle prolongée à nouveau ? Quel sera l’impact de cette situation sur le Hezbollah, à l’heure où un nouvel équilibre politique se met en place au Liban avec l’élection du président Joseph Aoun ?

L’après-trêve à Gaza : Après l’échange de prisonniers entre Israël et le Hamas, Tel-Aviv reprendra-t-il ses opérations militaires dans l’enclave ? Trump soutiendra-t-il le projet israélien d’annexer la bande de Gaza et la Cisjordanie, un dossier qui figure en tête de l’agenda de Netanyahou lors de sa visite à la Maison-Blanche ? Le Premier ministre israélien obtiendra-t-il le feu vert de Washington pour une attaque militaire contre l’Iran, qu’il a évoquée avant son départ de Tel-Aviv ?

Normalisation avec l’Arabie saoudite : Netanyahou reviendra-t-il avec un engagement américain ferme en faveur d’une normalisation entre Israël et Riyad, sans condition préalable de résolution du conflit israélo-palestinien ? Ou bien Trump maintiendra-t-il l’option de la « solution des deux États », en échange d’une reconnaissance progressive d’Israël par l’Arabie saoudite ?

Le dossier syrien : Netanyahou rentrera-t-il en Israël avec un accord américain lui permettant de conserver les territoires occupés en Syrie ? Ou bien Washington exigera-t-il un retrait israélien, dans le cadre d’un nouvel équilibre régional ?

Les déclarations et actions de Netanyahou après son retour de Washington donneront un aperçu de la dynamique qui marquera la prochaine phase au Moyen-Orient. En parallèle, les résultats de la visite de Sharaa en Arabie saoudite façonneront l’avenir politique de la Syrie et, par extension, celui du Liban, où Washington et Riyad semblent s’accorder pour soutenir la mise en place d’un pouvoir stable et durable.