L’axe dirigé par l’Iran traverse une période de recul, après avoir subi plusieurs coups dans la région, marquant un repli après une phase d’ascension historique au cours des dernières années, jusqu’aux premiers jours du "Déluge d’Al-Aqsa".

Cet axe, qui a mis du temps à se structurer, a engrangé des victoires au Liban, en Irak et en Syrie, en capitalisant sur les événements régionaux depuis le séisme du 11 septembre 2001, lorsque les États-Unis ont remodelé leur politique au Moyen-Orient sous la bannière de la lutte contre le "terrorisme", incarné alors par Al-Qaïda et ses ramifications, ainsi que par les régimes des Talibans en Afghanistan et de Saddam Hussein en Irak.

La politique de Washington dans la région a paradoxalement libéré Téhéran, qui était en conflit avec les Talibans et le parti Baas en Irak. Un certain consensus s’est instauré entre l’Iran et les administrations américaines successives, y compris avant le 11 septembre, sur un partage de l’influence, bien que ponctué de tensions en Irak, au Liban et dans le Golfe.

Ce statu quo a perduré jusqu’à l’élection de Donald Trump en 2016, qui a bouleversé la donne en se retirant de l’accord sur le nucléaire iranien et en imposant de lourdes sanctions à Téhéran. Aujourd’hui, alors que Trump pourrait faire son retour à la Maison-Blanche, l’axe iranien se trouve dans une position bien plus fragile qu’auparavant. Affaibli, certes, mais loin d’être défait.

Cette nouvelle phase, marquée par des incertitudes et des risques multiples, oblige l’Iran à repenser sa stratégie face aux vents contraires qui soufflent sur la région.

Le tournant dramatique de la "Front de soutien"

Le déclin a commencé avec l’implication précipitée du Hezbollah dans l’opération "Déluge d’Al-Aqsa" lancée par le Hamas le 7 octobre 2023. Cette offensive, visant à "vider" les prisons israéliennes de leurs détenus palestiniens, a été menée sans consultation préalable de l’axe, bien que ses membres partageaient l’objectif général d’affronter Israël et d’imposer un blocus de feu, chaque front gérant son propre tempo.

Au lendemain de l’attaque, le Hezbollah a ouvert la "Front de soutien", intensifiant progressivement ses opérations, d’abord depuis les fermes de Chebaa occupées, puis en relayant des factions palestiniennes à travers la frontière, avant de s’engager directement dans les combats. L’organisation voulait limiter la confrontation à un cadre géographique précis afin de préserver un équilibre de dissuasion, misant sur le fait qu’Israël ne le romprait pas.

L’axe iranien a sous-estimé l’impact du "Déluge d’Al-Aqsa" sur la société israélienne, considéré comme le plus grand choc depuis la création de l’État hébreu. Cette opération a été qualifiée de "11 septembre israélien" par le Premier ministre Benjamin Netanyahu.

L’erreur stratégique de l’axe a été de lancer son offensive contre l’un des gouvernements israéliens les plus extrémistes, sans prendre en compte la situation interne de Netanyahu, dont la survie politique était en jeu.

Au fil des combats, les divergences entre les fronts se sont accentuées. L’axe, loin d’être un bloc homogène, est apparu comme un ensemble de forces aux objectifs et aux méthodes variés.

Dans les faits, Gaza et le Liban ont été plongés dans la guerre, tandis que les Houthis au Yémen ont apporté leur soutien de manière plus limitée. La Syrie, pourtant qualifiée de "chaînon d’or" de l’axe avec le Hezbollah, s’est contentée de poursuivre son rôle habituel de soutien logistique et de transit d’armes, sans s’impliquer directement, pour des raisons internes, stratégiques et russes. L’Irak, quant à lui, a reculé après une première phase d’engagement, restant une force d’appoint plus qu’un acteur clé.

Avec l’intensification des frappes israéliennes, notamment après l’élimination du commandant militaire du Hezbollah, Fouad Chokr, le 30 juillet 2024, et les raids aériens du 23 septembre, l’axe a connu un recul marqué. Ces assauts ont également fragilisé le régime syrien, privé de soutien humain et de l’appui aérien russe, détourné vers l’Ukraine.

Le Hezbollah, sûr de sa force, s’est engagé dans l’affrontement avec Israël sans mesurer pleinement la puissance de son adversaire. Là réside la grande différence : alors que le Hezbollah préparait ouvertement sa guerre, Israël s’est discrètement renforcé sur le plan technologique et militaire, sous supervision américaine mais sans intervention directe – exactement comme l’Iran l’a fait avec le Hezbollah.

Rupture entre Damas et Téhéran

Après avoir longtemps prôné l’unité des fronts, l’axe iranien s’est morcelé. Le point culminant de cette fracture a été la chute du régime de Bachar al-Assad, qui a coupé l’axe terrestre vital reliant l’Iran au Hezbollah via la Syrie.

Les nouveaux dirigeants de Damas ont conclu un accord implicite avec l’Iran : ils ne combattront pas directement mais protégeront les intérêts iraniens et les lieux saints. Cependant, ils ont adopté une approche plus pragmatique, se rapprochant des puissances du Golfe sans rompre avec Moscou.

En revanche, Téhéran a réagi en stoppant ses livraisons de gaz et de pétrole à la Syrie, qui bénéficiait jusqu’alors de conditions avantageuses. L’Iran a également intensifié ses manœuvres dans les zones alaouites, envoyant un signal fort qui pourrait être suivi d’autres actions.

Repli et consolidation au Liban et en Palestine

Au Liban, l’axe tente de se recomposer, sous réserve d’éviter une guerre totale avec Israël. Il peut encore se réarmer via divers canaux, dont le trafic facilité par ses relais en Syrie. Le Hezbollah, quant à lui, consolide sa présence dans le sud du pays, jouant un rôle actif dans le soutien logistique et l’assistance aux populations locales. Sur le plan politique, il garde une capacité de blocage mais doit revoir sa stratégie de partage du pouvoir, dans un Liban désormais sous influence américaine croissante.

En Palestine, l’échange spectaculaire d’otages et de prisonniers a démontré la résilience du Hamas, qui maintient son alliance militaire avec l’Iran, malgré les tensions passées entre leurs ailes politiques. Cependant, le Hamas et le Jihad islamique font face à une pression intense en Cisjordanie, où Israël multiplie les opérations pour empêcher toute extension de leur influence.

Netanyahu, dont la priorité est désormais la Cisjordanie, intensifie l’offensive à Jénine, prélude à un projet de colonisation et de transfert de population, encouragé par le retour probable de Trump et ses déclarations sur l’accueil des réfugiés palestiniens par l’Égypte et la Jordanie, suscitant l’inquiétude au Caire et à Amman.

Jouer sur les contradictions

Dans ce contexte, l’axe iranien cherche à gagner du temps. Il pourrait durcir sa position sur le nucléaire au début du mandat de Trump, tout en renforçant ses relations avec les États du Golfe, qui voient l’influence turco-frériste en Syrie comme leur principal défi.

Téhéran maintient aussi une relation pragmatique avec la Turquie, espérant construire un équilibre régional fondé sur la reconnaissance mutuelle des intérêts stratégiques.

Enfin, l’Iran se prépare à une nouvelle phase au Moyen-Orient, attendant une relance sérieuse des négociations indirectes avec Washington – non pas sur ses alliés régionaux, mais sur ses propres priorités sécuritaires internes.