Alors que les flammes ravagent Gaza, l'Ukraine, le Soudan et même le détroit de Bab el-Mandeb, la fumée de ces incendies occulte d'autres crises tout aussi graves, à commencer par la région de la Corne de l'Afrique. Cette zone est marquée par des tensions dues principalement aux ambitions de l'Éthiopie de jouer un rôle régional, au détriment de la sécurité nationale de l'Égypte. Addis-Abeba bénéficie du soutien d'Israël, qui depuis 1958, a adopté une stratégie d'encerclement de l'Égypte en s'alliant avec la Turquie, l'Iran et l'Éthiopie. Ce que l'ancien Premier ministre israélien, David Ben Gourion, avait surnommé l'alliance des périphéries. Bien que l'Iran ait quitté cette alliance après la révolution islamique de 1979, l'Éthiopie a renforcé son rôle de partenaire d'Israël, surtout après l'effondrement de l'Union soviétique en 1991 et la disparition du régime communiste d'Éthiopie sous Mengistu Haile Mariam.

Les provocations éthiopiennes envers l'Égypte

Le rôle de l'Éthiopie contre l'Égypte s'est concrétisé après 2010 avec le lancement du projet de barrage de la Renaissance, qui affectera inévitablement les volumes d'eau atteignant le Soudan et l'Égypte. Malgré la gravité de cette situation pour la sécurité nationale égyptienne, le barrage étant soutenu par Israël, l'Égypte s'est retrouvée impuissante, incapable de prendre des mesures concrètes pour stopper la construction du barrage ou limiter ses effets néfastes. L'attitude du Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, reflète bien cet état d'impuissance. En raison de cette incapacité, l'Éthiopie a adopté des politiques de plus en plus agressives à l'égard de ses voisins, y compris le Soudan, plongé dans une guerre civile, et la Somalie, toujours en convalescence après sa guerre civile de 1991. Bien que la Somalie ait rétabli un gouvernement constitutionnel, elle n'a pas encore réaffirmé sa souveraineté sur la région du Somaliland, qui a proclamé son indépendance en 1991. Dans ce contexte, l'Éthiopie, en quête de domination dans la Corne de l'Afrique et privée d'accès maritime, a cherché une solution en louant un port au Somaliland, en accord avec les autorités séparatistes de la région, sans consulter les autorités légitimes de Mogadiscio. Le 1er janvier 2024, le Somaliland a annoncé un accord avec l'Éthiopie pour lui louer un terrain en vue de la construction d'une installation portuaire, en échange de la reconnaissance par Addis-Abeba de l'indépendance du Somaliland. Cet accord a provoqué la colère de la Somalie, qui considère le Somaliland comme une partie de son territoire, et a exacerbé les tensions dans la région de la Corne de l'Afrique. En vertu de cet accord, l'Éthiopie a obtenu un accès à 20 kilomètres de côte somalienne, où elle prévoit de construire une base navale.

La réponse égyptienne via la Somalie

Cette démarche éthiopienne a non seulement irrité le gouvernement somalien, mais aussi l'Égypte, qui considère la Somalie et Djibouti comme faisant partie intégrante de sa sphère d'influence. Ces deux pays ont constitué, depuis les années 1960, un pilier de la politique égyptienne dans la Corne de l'Afrique, permettant à l'Égypte d'accéder à la rive ouest du détroit de Bab el-Mandeb et d'encercler l'Éthiopie. Cela explique pourquoi le défunt président égyptien Gamal Abdel Nasser a soutenu l'indépendance de la Somalie en 1960 et son adhésion à la Ligue arabe, un processus poursuivi par son successeur Anouar el-Sadate, qui a soutenu l'indépendance de Djibouti en 1977. Face à l'accord éthiopien avec le Somaliland, l'Égypte et la Somalie ont signé un pacte de défense mutuelle le 14 août dernier au Caire, scellé par le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et son homologue somalien Hassan Sheikh Mohamud. Al-Sissi a affirmé le soutien de l'Égypte à l'unité et à la souveraineté de la Somalie, tout en dénonçant toute ingérence extérieure dans les affaires internes du pays. Il a également souligné l'importance de ce pacte dans une stratégie régionale plus large visant à renforcer la stabilité. Le président somalien, pour sa part, a insisté sur la lutte contre le terrorisme, qualifiant l'accord de « témoin d'un avenir commun de défense contre le terrorisme international ». Deux semaines plus tard, l'ambassadeur de Somalie au Caire, Ali Abdi Ouwari, a annoncé l'arrivée d'équipements et de contingents militaires égyptiens à Mogadiscio. Des vidéos ont montré deux avions militaires égyptiens débarquant des experts militaires accompagnés d'unités combattantes et de matériel destiné à renforcer l'armée somalienne. Cette intervention égyptienne a suscité l'inquiétude d'Addis-Abeba, qui a mis en garde contre le déploiement de forces égyptiennes en Somalie, avertissant que cela pourrait plonger la région dans l'inconnu. La situation pourrait déboucher sur un affrontement armé entre la Somalie et l'Éthiopie, ce qui servirait potentiellement les intérêts de l'Égypte, qui cherche à discipliner Addis-Abeba après ses empiètements sur les intérêts vitaux égyptiens dans le Nil et la Corne de l'Afrique.