L’économiste Pascal de Lima analyse les impacts de la dissolution surprise de l’Assemblee Nationale et de la baisse des taux directeurs de la BCE sur l’économie française,déjà en grande situation de fragilité.

La baisse des taux de la BCE a été immédiatement télescopée par la dissolution surprise de l’Assemblee Nationale. Le taux d’emprunt français a bondi. Le spread avec l’Allemagne s’est accru . Est-ce durable ? Un accident de parcours devant l’incertitude politique ?

Ici, l’aspect politique me paraît essentiel : la dissolution de l’AN créée une incertitude politique majeure et les marchés financiers n’aiment pas trop l’incertitude politique pour une raison simple c’est que différents risques peuvent être impactés : Risque budgétaire avec la future trajectoire budgétaire, risque économique avec l’idée d’un protectionnisme exacerbé, puis basiquement l’avenir de l’UEet de l’Euro. On peut donc y voir une certaine aversion au risque poussant les investisseurs à vendre la dette française. On dit qu’ils exigent alors une prime de risque plus élevée d’où cette hausse des taux. Le spread avec « l’Allemagne refuge » augmente donc mécaniquement. Sur la question de la durabilité tout dépend de la durée de la crise. Si elle se résout rapidement par la formation d’un gouvernement stable, le spread avec l’Allemagne pourra revenir à son niveau antérieur, je fais l’hypothèse qu’entre temps les décisions de la banques centrales et la situation économique et surtout la trajectoire budgétaire de la France restent stables et ne se détériorent pas.   

 Le taux directeur de la BCE a donc été amené à 3,75 %. Mais, sa présidente , Christine Lagarde, estime que le combat pour maîtriser l'inflation, sur la bonne voie, sans être terminé pas terminé. Ferme -t’elle la voie à d’autres baisses prochaines ?

C’est une déclaration qui laisse entendre une certaine prudence quant à d’éventuelles baisses. On dirait que la BCE est en phase d’observation et souhaite une maîtrise plus stable, plus durable de l’inflation comme si elle n’était pas totalement convaincue encore. Du reste, il suffit de voir les évolutions récentes de l’inflation alimentaire pour comprendre que prudence est de mise. On est donc en plein attentisme.

Pourquoi l'annonce de baisse de la BCE, la première depuis 5 ans, a entraîné immédiatement une légère hausse des rendements des emprunts allemands à dix ans, qui font référence, à 2,56 % ?

Les investisseurs peuvent interpréter cette baisse comme un signal que la BCE finalement s’inquiète moins de l’inflation future en présence pourtant de contradictions fortes et donc de risque de crédibilité pour la BCE. En clair, ils peuvent anticiper exactement le contraire : une hausse de l’inflation. Pour compenser le risque accru d’inflation future, le rendement des obligations allemandes augmente, une autre raison de l’augmentation de la prime de risque liée aux anticipations inflationnistes. Nous pouvons préciser que la baisse des taux peut aussi être perçue comme une mesure pour soutenir l’activité économique qui montrerait des signes de ralentissement latent. Les investisseurs se convainquent que ce ralentissement est bien réel et demande une prime de risque sur l’Allemagne qui était en récession d’ailleurs l’année dernière. Enfin, une économie comme dans un feu de paille plus qu’une reprise solide pour l’Allemagne. On ne peut pas exclure un mouvement légèrement spéculatif à très court terme mais cela me paraît peu probable sur l’Allemagne avec ce niveau de notation.

Cette baisse du taux directeur de la BCE est-elle tout de même une bonne nouvelle pour les taux de crédit à la consommation et pour l’immobilier en crise profonde en France ?

Une baisse des taux directeur de la BCE entraine généralement une baisse des taux d’intérêt à court terme, ce qui peut se traduire par des coûts d’emprunt plus bas pour les emprunteurs. On encourage ainsi les dépenses des ménages. En rendant le crédit moins cher, la BCE vise à stimuler la demande globale dans l’économie et les consommateurs peuvent être enclins à financer des achats importants, comme des voitures ou des rénovations domiciliaires ce qui peut stimuler la croissance économique. Une baisse du taux directeur peut également entrainer une diminution des taux hypothécaires ce qui rend les crédits plus accessibles, ce qui peut encourager les achats de logements et stimuler le marché immobilier en difficulté. On peut assister aussi à une amélioration de l’accessibilité financière pour de nombreuses personnes car les mensualités de prêts vont être plus réduites, enfin cela peut aussi stabiliser le marché immobilier en augmentant la demande de logement surtout en ce moment.

Maintenant, comme dit, la transmission des baisses de taux directeurs aux consommateurs peut prendre du temps, et l’impact peut varier en fonction des politiques des banques et des conditions de marché spécifiques et il faut que la confiance des consommateurs s’améliore aussi, enfin, il faut rester droit, on cherche à lutter contre l’inflation aujourd’hui. Or si les taux baisse, l’inflation qui peine à se stabiliser à des niveaux bas peut repartir de plus belle.

La croissance des ménages demeure le principal moteur de la croissance française. Jérome Fourquet affirme que notre modèle «stato-consummeriste » est à bout de souffle. Qu’en pensez-vous ?

C’est amusant, on l’observe aussi dans des pays comme la Grèce ou le Portugal qui se portent mieux aujourd’hui que la France avec des excédents budgétaires et qui ont tourné la page de ce modèle. Tout d’abord le modèle Stato-Consumériste part du principe que l’Etat a un rôle central à jouer dans l’économie, intervenant dans les secteurs de la santé, de l’éducation, des services sociaux et des infrastructures pour notamment protéger les citoyens. La consommation a un moteur clé souvent plus de 50% du PIB est attribuable à ce poste de la comptabilité publique. Les subventions publiques, les aides sociales et les incitations fiscales y concourent. Mais l’activité s’est de plus en plus mondialisée créant des déperditions de richesse et du manque de lisibilité dans l’efficacité des dépenses publiques. Ce n’est pas sans rappeler le niveau de la dette et des déficits très élevés en France ce qui oblige a repenser l’efficacité de la dépense publique sans remettre en cause le modèle, juste le rationnaliser, le réguler (protectionnisme intelligent, calcul des causalités dans l’efficacité des dépenses publiques).

En revanche, plus grave, le sentiment que l’Etat est réellement et surtout totalement inefficace par exemple dans la relance de la croissance par la consommation, dans la redistribution des richesses, dans les inégalités, dans les écarts de revenus et de patrimoine et dans cette idée qu’il vaut mieux être financier que bon père de famille etc…est très menaçant pour ce modèle car lui porte un lourd discrédit. Pour la consommation, la stagnation des salaires, le chômage et l'augmentation du coût de la vie, réduisent la capacité et la volonté des ménages à dépenser ce qui laisse à penser qu’en tendance lourde ce modèle s’essouffle.

Aujourd’hui les réformes qui sont menées ici et là montre la fin de ce modèle : la place de la transition numérique, écologique liée aux métiers de demain. On développe alors une autre politique économique fondée sur la modernisation des services publics et des politiques favorisant l’innovation, l’entreprenariat, en diversifiant les moteurs de croissance, en basculant de façon souvent brutale comme aujourd’hui en Grèce, vers une économie de l’offre avec le développement de l’investissement privé, des exportations, de la R&Dd’amélioration de la productivité et dans le cadre d’une économie de l’offre fondée sur le développement de la transition économique et numérique. Pour la France, l'avenir économique pourrait être renforcé par une transition vers une économie plus verte et numérique. Les investissements dans les technologies durables et les infrastructures numériques peuvent stimuler la croissance tout en répondant aux défis environnementaux. On s’éloigne du modèle traditionnel Stato-Consumériste tout en restant dans un mixte de politiques économiques.

Sans réindustrialisation massive, sans consommation structurante , la France est-elle condamnée à une croissance atone ou à devenir une économie de services ?

Oui certainement. Il faut retrouver notre indépendance dans les chaines de valeur, industrielle, alimentaire, énergétiquequand c’est possible. Autrement nous sommes condamnés à devenir un géant Ibiza à terme où il nous restera peut être la tour Effel à vendre. Retrouver notre indépendance, diversifier notre économie, tout du moins la re-diversifier car elle l’était déjà, créer des emplois sérieux, sans tromper les jeunes, c’est à dire en leur faisant croire à un eldorado sur le marché du travail via le développement du slasherisme qui n’est rien d’autres que de la précarité technologique dans les métiers du futur. N’oublions pas que la réindustrialisation de la France a des impacts majeurs : elle relance la croissance, elle rend l’économie moins vulnérable aux chocs externes et de demande, elle résorbe les inégalités régionales et sociales, elle peut constituer un redoutable booster pour la transition numérique et écologique.

La BCE craint une résurgence inflationniste. La hausse des prix a atteint 2,6% dans la zone Euro en mai. La Banque Centrale Européenne doit-elle changer son dogme statutaire des 2% d’inflation ?

D’une certaine façon oui : le maintien de l’objectif des 2% est un pilier central de la politique monétaire et un aiguilleur du ciel pertinent économiquement. Je pense qu’elle contribue à une inflation plus stable. Elle rend aussi plus crédible la politique monétaire, pour les consommateurs, pour les entreprises, pour les marchés financiers, puis pour elle-même en fait dans ses propres objectifs institutionnels. Autrement pourquoi pas 4% dans 10 ans ? Une fois que l’on relâche cette cible…

Maintenant j’entends bien d’autres arguments : Certaines situations extraordinaires comme la pandémie de COVID, la guerre en Ukraine peuvent peut être nécessiter une approche plus flexible pour mieux répondre aux chocs économiques surtout si la croissance n’est pas compromise. On en doute quand même à cause des niveaux bas de croissance même en période d’inflation. On peut aussi se dire qu’en étant plus souple et en acceptant une inflation plus élevée, on limite encore plus le risque de déflation qui a elle-même des conséquences économiques tout aussi défavorables.