Dans les coulisses des rencontres à Djeddah et des réunions à Riyad, des développements remarquables se dessinent dans la langue de communication entre l'Arabie saoudite et les États-Unis. Les tonalités impératives cèdent la place à une approche pragmatique qui met l'accent sur la recherche du bénéfice mutuel et le respect de la singularité de chacun.

L'été dernier, le président américain Joe Biden a effectué une visite capitale à Riyad, dans l'espoir de tourner la page après une période tendue entre les démocrates américains et l'Arabie saoudite, marquée par ses prises de position sans concession à l'égard du royaume pendant sa campagne électorale. Peu de temps après son accession à la présidence, il avait gelé les ventes d'armes offensives à l'armée saoudienne, malgré les besoins urgents de celle-ci dans son conflit au Yémen. De surcroît, des sanctions avaient été imposées à des responsables saoudiens, et certaines personnalités du pays s'étaient vu interdire l'entrée aux États-Unis. Toutefois, Biden a tenu compte de ses déclarations antérieures et a pris l'avion en direction de Riyad pour une rencontre cruciale avec le roi et le prince héritier, cherchant ainsi à « rectifier » une erreur et à éviter de froisser un pays doté d'une richesse pétrolière qui représente un poids régional incontournable.

Un an après cette visite, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, s'est rendu à Djeddah pour une rencontre cruciale avec le roi saoudien et le prince héritier, afin de réaffirmer la solidité et la cohésion de l'alliance entre les deux pays. Cependant, cette initiative semble avoir été entreprise tardivement. Pendant cette année qui a séparé les visites de Biden et de Blinken, l'Arabie saoudite a connu des changements majeurs et s'est tournée vers ses partenaires en Extrême-Orient, en établissant des relations audacieuses avec la Chine. Elle a ouvert la voie à Pékin pour faciliter un dialogue entre l'Arabie saoudite et l'Iran, aboutissant à un accord historique entre ces deux pays et entraînant des transformations profondes au Moyen-Orient. Il est remarquable de constater que la réouverture de l'ambassade iranienne à Riyad, après une rupture diplomatique de sept ans, coïncide avec la visite du ministre américain des Affaires étrangères à Djeddah. De plus, la présence simultanée du président vénézuélien Nicolás Maduro, considéré comme l'un des principaux « ennemis » de « l'impérialisme américain » en Amérique latine, ajoute une dimension singulière à cette conjoncture. Cette « coïncidence » pourrait être interprétée comme un message de « l’équilibre » que Riyad cherche à promouvoir dans sa politique étrangère. Elle fait écho à un message similaire émanant du sommet arabe de Djeddah, où ont été accueillis en même temps le président syrien Bachar El-Assad, allié de la Russie, et le président ukrainien Volodymyr Zelensky, allié de Washington.

Les pourparlers de Blinken au royaume ont mis en lumière les divergences manifestes entre Riyad et Washington sur des questions cruciales. À la veille de cette visite, l'Arabie saoudite a surpris en annonçant une nouvelle réduction volontaire de sa production pétrolière, allant à l'encontre de la volonté de Washington qui cherche à augmenter la production pour répondre aux besoins de ses anciens clients en pétrole russe. Par ailleurs, le Riyad a tenu à affirmer sa décision de normaliser ses relations avec Damas, malgré le mécontentement exprimé à plusieurs reprises par le ministre américain devant les Saoudiens.

La montée en puissance de la présence chinoise dans le Golfe a été au cœur des discussions. Blinken a déclaré que Washington ne soumettait personne à un choix binaire entre les États-Unis et la Chine. La réponse saoudienne a souligné l'importance d'une approche diversifiée dans les relations internationales, tout en rappelant l'importance de revitaliser les liens avec Washington.

Dans le contexte du conflit israélo-palestinien, les divergences entre les positions américaines et saoudiennes étaient clairement perceptibles. L'administration Biden cherche à réaliser la signature d'un accord de paix entre l'Arabie saoudite et Israël, considéré comme son "joyau de la couronne" en comparaison des Accords d'Abraham conclus par l'administration Trump avec d'autres pays du Golfe et du monde arabe. La Maison Blanche est parfaitement consciente de l'importance de l'annonce de la disponibilité de l'Arabie saoudite à conclure un tel accord de paix avec Israël, et de son impact tant régional que mondial au sein des nations musulmanes. C'est précisément pour cette raison que la visite de Blinken a été investie dans cette entreprise, mais elle s'est heurtée à la réalité saoudienne. Riyad ne voit aucun inconvénient à la conclusion d'une paix avec l'État hébreu, à condition que cela soit précédé par une résolution du conflit israélo-palestinien, à travers la réalisation d'une solution à deux États, avec Jérusalem-Est comme capitale de l'État palestinien. Selon le royaume, l'établissement de cet État palestinien est la clé de la paix et de la stabilité, ce qui s'oppose aux affirmations de l'administration Biden selon lesquelles l'avancée qualitative des relations saoudo-israéliennes est la clé de la paix et de la stabilité.

L'ambiance lors de la réunion à Djeddah et des rencontres à Riyad a révélé que le langage de communication entre le royaume et les États-Unis a évolué, passant d'une rhétorique de directives à une approche pragmatique, axée sur la recherche d'intérêts communs et tenant compte des spécificités de chaque partie. Il semble que l'administration Biden ait reconnu que l'Arabie saoudite est devenue un acteur régional et international indispensable, et que le discours politique à son égard nécessite une réévaluation et une refonte de ses fondements. Le rôle de l'Arabie saoudite dans la résolution des problèmes régionaux ne peut être négligé, et ses positions ne peuvent être ignorées.

Riyad campe sur ses positions, d'autant plus que l'administration Biden s'approche de la dernière ligne droite de son mandat, avec des problèmes qui s'accumulent et la perspective de perdre le contrôle démocrate de la présidence. Parallèlement, l'Arabie saoudite a réalisé des avancées majeures dans ses relations avec la Chine et dans ses efforts de réconciliation avec l'Iran, la Turquie et la Syrie. Le royaume s'est engagé résolument dans la construction d'un Moyen-Orient où il joue un rôle essentiel, capitalisant sur son pouvoir économique, son influence morale, matérielle et politique. Cependant, cela ne signifie en aucun cas que l'Arabie saoudite négligera les intérêts stratégiques des États-Unis ou la coopération sécuritaire entre les deux pays. Cette relation en particulier n'est pas sujette à des marchandages ni aux inquiétudes américaines concernant les liens économiques du Golfe avec la Chine, pourvu que le contrôle sécuritaire reste exclusivement américain, incluant l'armement des armées du Golfe et la préservation des voies maritimes internationales grâce aux flottes et bases américaines.

Certes, le monde est en mutation, mais les États-Unis continuent de parier sur leur capacité à faire barrage à toute force susceptible de mettre en péril leur position mondiale. C'est là l'essence du conflit international qui sévit actuellement. Néanmoins, les changements survenant sur la scène mondiale, notamment les progrès fulgurants de la Chine vers le Golfe et les évolutions rapides au Moyen-Orient, ont peut-être alerté les décideurs à Washington sur la nécessité de revoir les politiques américaines dans cette région cruciale du monde. Les alliés ont perdu confiance, ressentant une distance croissante entre eux et les États-Unis. Il se peut donc que l'administration actuelle s'efforce de rectifier les torts causés à ses relations avec les pays du Golfe, en particulier l'Arabie saoudite, non seulement en corrigeant les erreurs passées, mais aussi en reconnaissant l'importance fondamentale du partenariat avec Riyad. Faute de quoi, tout le monde, y compris Washington, en subira les conséquences.