Jean-Yves Archer, Economiste, spécialisé en Finances Publiques. Il dirige le cabinet Archer. Il est diplômé de Sciences-Po et de l'ENA, membre de la Société d'Economie Politique (SEP). Auteur du livre « Les économistes face à la notion d’ignorance chez Diderot » (Amazon éditions)

Valeurs Actuelles 

VA: L’inflation semble durablement installée. Croyez-vous à une baisse des prix lorsque les distributeurs et les industriels auront répercuté leurs coûts de production et que ces derniers fléchiront ?

L'inflation est une variable dynamique qui varie selon les secteurs. Un certain discours officiel, que rien ne valide au plan de la théorie économique, prétend qu'elle ne serait pas durable. Le Gouverneur de la Banque de France avait déjà été optimiste en recourant à la notion de " bosse " transitoire en 2022. Depuis les faits ont sèchement démenti cette analyse. Sur le fond, vous avez raison il y a eu une répercussion des coûts de production directement liée aux prix de l'énergie, aux chocs d'offre lors de la grande reprise post-Covid et aux hausses des prix de production. Dans des dizaines de domaines d'activité ( papier, cartonnage, aluminium, bois… ) les intrants ont subi des hausses de prix invraisemblables : plus de 30% en moyenne pour l'agriculture et près de 20% en valeur moyenne pour l'industrie. Les agents économiques ont pris leurs calculettes et répercuté tout ceci vers l'aval.

C'est ainsi que le chiffre de l'Insee autour de 6% n'emporte pas pleinement la conviction de nombreux analystes. Demandez à la mère de famille ou au dirigeant d'une PME du secteur routier si ses achats n'excèdent pas, et de loin, le chiffre officiel qui est une moyenne trop intelligente pour avoir la puissance d'un miroir non déformant. Tous les consommateurs ont désormais une perception aigüe de l'inflation : elle s'insinue dans la plupart des secteurs et particulièrement dans l'agro-alimentaire. N'en déplaise à des statisticiens publics, elle est souvent à deux chiffres. Ce qui est important de noter, c'est que l'inflation a muté : elle est devenue une variable d'amplification et non plus seulement de répercussion. Différents experts dont Denis Ferrand ( Rexecode ) ont récemment démontré que ce sont l'essor des marges qui expliquent la pression inflationniste et non plus les seuls coûts de production. Un praticien pondéré mais très professionnel comme le président de Système U, Dominique Schelcher, a pris position et a pointé clairement les pratiques de la grande industrie. Concrètement, exemple parmi d'autres, les produits d'hygiène vont augmenter de 30% d'ici à l'Été prochain !

Dans ces conditions de rapports de force et de profits partiellement indus, je ne pense pas que les prix vont fléchir. La concurrence sera régulatrice mais n'imposera ses effets bénéfiques qu'après plusieurs mois. Michel-Édouard Leclerc a parlé de " tsunami " d'autres ont qualifié le Printemps de " rouge " avec des nouvelles hausses moyennes de 15%. Nous y sommes.

VA: Le prix des matières premières, y compris alimentaires, globalement baisse. Pourquoi le consommateur ne le constate-t-il pas encore ?

En réalité, il y a un phénomène de captation de marges au sein des entreprises de transformation qui provoque ainsi des tensions sur les prix de la distribution et donc sur les étiquettes finales.


VA: Peut-on dater le pic inflationniste dans notre pays ? Le gouvernement semble pour le moins confus !

Le pic est devant nous. Ce qui est indiqué supra le démontre. Mais, question cruciale, quand pourrait-il advenir ? ? Certainement pas avant Octobre du fait des résultats des toutes récentes négociations entre l'industrie et la grande distribution.

L'inflation est rentrée sinon dans les mœurs du moins dans les réflexes professionnels de certaines filières. Le cas de la viande est emblématique : alors que les éleveurs souffrent ( coûts de la nourriture des bêtes, énergie ) la valse des étiquettes subie par le consommateur connaît des hausses qualifiables, sans doute possible, de flambée des prix.

Quant au Gouvernement, il est entré dans une logique de déni. Il suffit de se rapporter à une récente intervention médiatique du Gouverneur de la Banque de France qui considère " que l'inflation sera divisée par 2 d'ici à la fin de l'année " soit autour de 3% puisqu'il cale son raisonnement sur les 6,2% de l'Insee. Selon mes travaux et surtout selon les organismes privés étrangers, cette approche est effectivement confuse et volontariste à l'extrême ! Vous avez raison !

Nous savons que les traités constitutifs de la BCE lui intiment de respecter un plafond de 2% d'inflation annuelle et nous comprenons les " engagements " ( sic ) que le Gouverneur prend devant l'opinion publique.

Toutefois l'inflation est une variable poisseuse qui ne se laisse pas domestiquer avec une telle ductilité.


VA: Une hausse des salaires n’aurait-elle pas un effet inflationniste en retour ?

Je considère que plusieurs branches d'activité sont en capacité d'absorber une augmentation crédible des salaires ( chimie, aéronautique, luxe ). Bien sûr, il y a dans la théorie économique, la trop fameuse boucle de rétroaction prix/salaires. Mais à tout prendre, en gardant à l'esprit les difficultés de fin de mois de millions de compatriotes, je préfère une hausse raisonnée qu'une pagaille sociale issue de sorte d'émeutes de la faim. Non ce terme n'est pas excessif pour qui constate le caractère désormais abrasif de la vie quotidienne. Les salariés qui dorment dans leurs voitures car incapables d'honorer un loyer, les enfants et jeunes adultes qui fréquentent des centres alimentaires du type Restos du cœur sont des réalités sociales prégnantes.

L'inflation salariale est un risque pour les PME mais elle est digeste pour les multinationales. Quant à l'effet en retour, il sera toujours plus contenu ( donc boucle de feed-back inférieure à 1 ) que le risque de sérieux tassement de la consommation dont il n'est pas superflu de rappeler ici qu'elle est l'unique moteur de la croissance française.


VA: Comment augmenter le pouvoir d’achat en partageant mieux la valeur créée dans l’entreprise ?

L'État tire des chèques sur l'avenir et soutient le pouvoir d'achat avec sa valeur fétiche : la dette publique. La Cour des comptes vient de souligner que la situation des Finances publiques est véritablement préoccupante. Les mesures de soutien, à un certain point, sont toxiques.

Ancien commissaire aux comptes, je crois savoir lire un bilan et même un compte de résultat. C'est le poste salaires et cotisations qui doit être actionné et rapporté au chiffre d'affaires. Je suis méfiant quant au concours Lépine du type dividende salarié et autres qui sont des palliatifs aussi périlleux que les primes qui sont en-dehors de l'assiette des cotisations retraite. Une augmentation de salaire peut sembler rustique mais elle ouvre des droits autrement plus tangibles que des répartitions soi-disant innovantes de la valeur ajoutée !