Craig Erlam (*), analyste de marché senior Europe, Moyen-Orient et Afrique chez Oanda, à Londres, décrypte la place actuelle de la Chine dans le monde.

Valeurs Actuelles

Depuis la crise de la Covid, avec la guerre en Ukraine et son positionnement pro-russe , la Chine peut-elle rester « l’atelier du monde » ?

La Chine restera extrêmement importante pour les chaînes d'approvisionnement mondiales et la production d'un large éventail de biens. C’est une évidence pour moi. Cela dit, ces dernières années nous ont rappelé l'importance de la diversification, à la fois en raison de la pandémie et du paysage géopolitique qui se redessine sous nos yeux. C'est pourquoi je m'attends à ce que les entreprises cherchent à devenir moins dépendantes de la Chine, tout en maintenant une présence très saine dans ce pays. Je ne vois donc pas de remise en cause fondamentale du rôle économique de ce pays.

Le contexte géopolitique avec la guerre en Ukraine , le rapprochement avec la Russie , et la question de Taïwan, fabrique à semi-conducteurs, auront -ils un impact sur la croissance chinoise et ses « nouvelles routes de la soie » ?

Franchement, je ne pense pas que cela aura un impact significatif sur la croissance chinoise. Ce pays l’a démontré dans le passé, il sait s'adapter aux changements d'attitude à son égard. Mais ces dernières années, avec les différentes crises, de nombreux pays sont devenus beaucoup plus prudents à l’égard de cette nation chinoise. D’ailleurs, ces changements d’attitude se reflètent dans l'approche plus dure à l'égard du pays, et pas seulement de la part des États-Unis. D’autres nations en Europe se tiennent plus à distance de la Chine.

L’annonce d’une croissance Chinoise de 5% pour 2023 permettra-t-elle de continuer à développer un modèle sociale fédérateur pour la population chinoise ? Il y a nombre d’habitants des campagnes chinoises qui viennent dans les zones urbaines chercher un emploi…

L'objectif de croissance de 5 % devrait probablement être considéré comme un objectif minimum et non comme une prévision. Nous l'avons souvent vu par le passé, les prévisions chinoises sont très souvent conservatrices. Elles sont souvent dépassées. Vous avez raison, le pouvoir a besoin de croissance et d’emplois…La priorité de Pékin restera un faible taux de chômage, car les dirigeants reconnaissent pleinement l'importance d'une telle stratégie. Cette stratégie a probablement joué un rôle déterminant dans la décision d'abandonner la politique du zéro-covid à la fin de l'année dernière. La situation devenait intenable d’un point de vue politique et économique. L'un des risques majeurs pour l'inflation cette année était une reprise chinoise survoltée qui ferait grimper la demande d'une foule de produits de base, du pétrole au minerai de fer, et par conséquent leurs prix mondiaux qui se reflèteraient dans les coûts de production… Une croissance annoncée de 5% pèserait donc à priori moins sur l’inflation mondiale. Il sera intéressant de voir si les banques centrales y feront référence au cours des prochains mois, alors qu'elles approchent de la fin de leurs cycles de resserrement monétaire. Et pourtant, l’inflation pourrait s'avérer assez tenace

La bataille pour le leadership économique mondial entre la Chine et les États-Unis peut-elle déboucher sur un conflit militaire ?

Je doute fortement que nous assistions à un conflit militaire avec les États-Unis, bien que les relations de la Chine avec la Russie et la question de Taïwan soulèvent certainement la perspective de relations économiques très tendues. Sans doute que de lourdes sanctions pourront conduire à une plus grande démondialisation. Le fossé entre l'Occident et ses alliés, d'une part, et la Chine, la Russie et ceux qui sympathisent avec leurs causes, d'autre part, menace de créer deux grands groupes qui pourraient favoriser une plus grande coopération entre ces nations. Il y aura toujours des personnes qui essaieront de rester neutres et qui pourront chercher à bénéficier des deux, mais ce clivage devient de plus en plus apparent. Cela dit, il s'agit à ce stade d'une pure hypothèse et toute division croissante ne signifie pas une coupure totale, ou quelque chose qui ressemblerait à ce que nous voyons avec la Russie en réponse à son invasion de l'Ukraine.

(*) Analyste de marché senior, Royaume-Uni et Europe, Moyen-Orient et Afrique chez OANDA (basé à Londres)