Pour Philippe Chalmin, professeur émérite à l'université Paris-Dauphine et président de Cyclope, notre modèle de transition énergétique est mis à mal.

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VA : « La fin de l’abondance » , annoncée par Emmanuel Macron signifie-t-elle que nous entrons durablement dans une ère de matières premières rares , donc chères ?

Emmanuel Macron exagère probablement un peu, en parlant de la fin de l’abondance. Ou moins quand il a parlé de la fin de l’abondance, je pense qu’il faisait beaucoup plus référence à la fin de la période des « 30 glorieuses », années euphoriques de la mondialisation heureuse. Je ne suis pas sur qu’il faisait totalement référence aux matières premières. Il n’y a pas à l’heure actuelle de véritable signe de la fin de l’abondance, que ce soit dans le domaine de l’énergie, que ce soit dans le domaine des minerais et métaux et même dans le domaine agricole. L’extraordinaire, au contraire, c’est qu’à l’heure actuelle la planère répond assez largement aux besoins des hommes. Alors, il peut y avoir des tensions sur certains produits du fait de l’augmentation de la demande liée à de de nouvelles technologies; l’exemple type étant le lithium pour les batteries. Mais, au fond assez rapidement, je pense que nous trouverons les investissements nécessaires pour répondre à ces besoins de lithium. Donc quand Emmanuel Macron parle de la fin de l’abondance, il parle d’une certaine forme d’abondance économique. De la croyance que l’on avait que le monde allait pouvoir rouler à 5% de croissance économique mondiale, alors que nous savons maintenant que l’an prochain il ne risque de faire que 2,5%, selon les dernières prévisions du FMI. C’est peut-être un peu cela la fin de l’ abondance ? Alors au niveau strictement français nous allons vivre probablement la fin de l’abondance en particulier dans un domaine particulier qui le gaz naturel pas cher pendant la période hivernale. L’abondance du gaz naturel à 10€ le mégawatt/heure, ça c’est bien terminé ! Nous risquons de terminer aux alentours entre 100 et 200€ le mégawatt heure. Là, sur ce produit très particulier, l’abondance dans laquelle on a pu vivre, a été probablement surévaluée. Mais pour le reste, même pour les produits agricoles, dont nous voyons les tensions, l’extraordinaire est que la production agricole mondiale a jusque-là largement répondu aux demandes et à la montée des besoins de la planète entière.

VA : La baisse de production de l’OPEP est-elle le signe d’une demande mondiale qui faiblit fortement ? Donc d’un Occident qui entre en possible récession ?

Oui et non. Que l’Occident entre en possible récession, j’enlèverais le possible et dirais que l’Occident va connaître en 2023, selon les cas, du 0 ou de la croissance négative. La prévision du FMI pour la France n’est plus que de 0,7%. Peut être un peu mieux aux Etats Unis qu’en Europe et un peu plus mal au Japon. Mais les pays avancés vont être pratiquement en stand-by sur les 3, 4 trimestres à venir. Bien entendu, ceci va avoir une conséquence en termes de demande de pétrole, mais je ne suis pas sûr que la décision de l’OPEP de réduire de 2 millions de baril jour sa production soit directement liée à cela. Ils baissent de 2 millions barils jour le niveau de leur quota, sachant qu’au mois d’août ils étaient à 3,5 millions barils jour en-dessous de leur quota, puisqu’un certain nombre de pays ne sont pas capables de les remplir, Angola, Nigeria par exemple et que d’autre part la Russie a vu ses exportations diminuer parce qu’ils qu’en même aujourd’hui plus de mal à trouver des débouchées. Et c’est d’ailleurs l’une des raisons de la baisse des prix aujourd’hui: la Russie est obligée de vendre son pétrole à des prix inférieurs au niveau du Brent à des pays qui ne sont pas trop regardant comme la Chine ou l’Inde. Or, ces rabais que consentent les russes, sont un élément qui a poussé les prix à la baisse. Donc la réaction de l’OPEP de réduire de 2 millions barils jour les quotas, c’est surtout pour essayer de refaire monter le prix du baril à une centaine de dollars pour un baril.

VA : La transition écologique peut-elle se dérouler sans rupture dans le passage annoncé entre énergies fossiles et renouvelables ?

C’est la vraie question ! Car la transition énergétique telle qu’elle a été conçue en particulier en Europe, était une transition qui, à la fois, était écologique mais qui était aussi largement idéologique. L’objectif que l’on partage tous est de passer d’ici la fin du siècle des énergies fossiles à des énergies renouvelables et non carbonées. On a rajouté en Europe à cette transition énergétique des dimensions idéologiques. La première étant que nous voulons en terminer avec le nucléaire (le nucléaire est pourtant la seule énergie parfaitement décarbonatée). Seconde dimension idéologique, l’idée que nous ne voulons pas de gaz de schistes ni en termes de production ni en termes d’importation. Donc, on a tout mis sur le renouvelable. Et en plus, dernier point, nous allons pousser à l’électrification de nos économies parce que ce sera un moyen aussi d’éradiquer les énergies fossiles. Le résultat, notre modèle et notamment le modèle allemand, (le modèle français étant particulier à cause de la place du nucléaire), a survécu malgré toutes les aberrations portées par les Verts !

Le modèle allemand qui était le modèle de référence européen, a visé intégralement les énergies renouvelables ! Mais parce que de temps en temps il n’y a pas de vent ou de soleil, il faut donc une énergie de transition pour assurer le relais. Cette énergie de transition c’est le gaz , outre-Rhin. Or, la vision allemande, qui est aussi la vision très largement européenne, désapprouve le gaz de schiste. On n’en veut pas ! Donc , recours , à l’époque , au « bon gaz russe » que nous avons importé dans le cadre de l’offre politique si chère aux allemands. Le résultat ? Le modèle de transition énergétique européen, aura été de se mettre dans une dépendance totale vis-à-vis du gaz naturel russe !

Il faut appeler un chat un chat, aujourd’hui nous sommes en train d’essayer de rétropédaler comme des fous pour trouver du gaz ailleurs ! D’ouvrir un petit peu partout des terminaux de re gazéification pour importer du gaz naturel liquéfié, mais ce sont des marchés où nous ne sommes pas seuls. Nous sommes en concurrence avec l’Asie qui ne cesse de faire monter les prix. Et donc notre modèle de transition énergétique se trouve largement mis à mal puisqu’il a été basé sur du gaz pas cher qu’aujourd’hui le gaz est très cher. Et qu’en plus nous manquons de capacités pour l’importer! D’où le recours absurde au charbon. Nous sommes donc dans une impasse énergétique sachant que les solutions qui peuvent être apportées, - la relance du nucléaire, d’autres énergies renouvelables en particulier issues de la biomasse-, toutes ces énergies mettront du temps à être mises en place.

VA : Quel impacts des poussées russe et Chinoise en Afrique sur l’accès aux matières premières ?

Les russes sont des prédateurs, ils ne pèsent pas lourds. Dans les valises du groupe Wagner, il y a effectivement un petit peu d’exploitations minières mais le groupe Wagner est plutôt présent dans le Sahel donc c’est plutôt des mines d’or que la Russie cible.

Par contre la Chine est effectivement très présente et est même devenue l’acteur dominant dans un pays comme la république démocratique du Congo. Mais même les Chinois ,aujourd’hui. commencent à trouver que l’Afrique est une zone d’investissements bien difficile. Il n’en reste pas moins qu’en particulier pour un des métaux importants de la transition énergétiques, le cobalt, la Chine est très bien placée . Ainsi, l’économie du cobalt en république démocratique du Congo est largement dominée par la Chine.