Notre déficit commercial atteint des niveaux très inquiétants. Le gouvernement mobilise sa Team France. Emmanuel Macron, lui, ne cesse de parler de “souveraineté européenne”.
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Alerte rouge. Le déficit commercial de la France devrait être cette année supérieur à 160 milliards d’euros. Un rapport sénatorial titré, «Commerce extérieur : l’urgence d’une stratégie publique pour nos entreprises » ne laisse aucun doute sur les graves difficultés du «Made in France ». Certes, l’accélération de la dégradation de notre situation commerciale s’explique de façon conjoncturelle par l’accroissement violent de notre facture énergétique. Les quatre membres de la Haute assemblée dressent un constat très sombre de notre situation, tant en termes de compétitivité que de désindustrialisation. Ils écrivent : « La dégradation n’est pas soudaine. Elle résulte d’un long processus induit par le choix politique de la désindustrialisation de la France depuis 40 ans, et s’est simplement aggravée avec les récentes crises sanitaire et énergétique. » Aujourd’hui, notre commerce extérieur paye cash la désindustrialisation à laquelle nous assistons depuis des années. Qui a oublié que Serge Tchuruk, alors tout puissant patron d’Alcatel conceptualisait sur une économie sans usine ? « Il faut se concentrer sur ce que l'on sait faire et externaliser le reste. », criaient, alors en cœur, les chantres assumés de la mondialisation.
La manque aussi de vision stratégique des pouvoirs publics – on a oublié l’ardente obligation du Plan- explique le fiasco des années 2020. Résultat, la France se classe dernière en Europe en matière d’industrie. La part de contribution de cette dernière au PIB national n’est plus que de 9%. La dernière ! Le gouvernement peut toujours se rengorger d’avoir créé 59.000 emplois industriels et d’accueillir des Investissements directs étrangers (souvent largement subventionnés par l’argent du contribuable), le compte n’y est pas.
Là, où l’Allemagne dégage 178 milliards d’euros d’excédent commercial, nous affichons pratiquement le même montant de déficit ! Il y a officiellement plus de 130.000 entreprises françaises qui exportent. En réalité, elles ne sont plus qu’une poignée, environ mille PME ou ETI, a réalisé 70% du chiffre d’affaires à l’international.
Inter : La stratégie allemande la plus efficace
Quelles différences entre nos deux pays qui partagent la même monnaie ? Le modèle allemand est basé sur une sorte de politique d’avantages comparatifs ricardiens et de segmentation des marchés. A l’Europe orientale les activités bas de gamme et la sous-traitance peu qualifiée. Mais, les industriels allemands conservent, au contraire, leurs meilleures machines et la quasi-totalité de leurs activités haut de gamme dans l’usine-mère, sur place. Et là c’est une main d’œuvre hautement qualifiée et attachée au «Made in German » qui opère les productions. C’est une différence de taille, évidemment, avec les orientations industrielles françaises.
Par secteur, la situation est encore plus alarmante. Il ne reste plus que quatre secteurs qui dégagent des excédents commerciaux : l’Aéronautique pour 20 milliards, la chimie, luxe, cosmétique pour 15 milliards, viennent ensuite l’agroalimentaire pour 8 milliards et enfin la pharmacie pour plus de 2 milliards. Pour ce dernier secteur, les délocalisations des centres de recherches, la fabrication des principes actifs en Asie ou des médicaments, au nom de la « mondialisation heureuse ! » ne laisse rien n’augurer de bon pour les années à venir. Les pénuries de médicaments en France et en Europe n’en sont que l’aspect le plus visible.
L’agroalimentaire français est également en difficulté, passé parfois à la moulinette des directives bruxelloises. L’affaire des néonicotinoïdes sur les betteraves en est un bon exemple !
Car comme le suggèrent les Sénateurs, dans ce rapport, le niveau de notre déficit commercial n’est pas qu’un problème financier. C’est aussi une question de souveraineté. Que reste-t-il de cette souveraineté industrielle ? Combien de secteurs avons-nous abandonné sur les seuls autels du coût de production ou de l’Europe de Maastricht ? L’économiste Marc Touati est souvent monté au créneau : «Notre part de marché ne cesse de s’affaiblir. Les déficits se creusent de toutes parts ».
Dans ce « sauve-qui peut », l’actuel pouvoir a mise en place une réforme qui construit un guichet unique pour les entreprises souhaitant exporter. C’est la réforme du dispositif de soutien public à l’export. Ce dispositif s’adosse donc désormais sur une structure simplifiée et unifiée :la « Team France Export » ! Mais, comme l’exprime un proche du dossier, «on peut toujours mettre en place les structures les plus sophistiquées. Ce n’est pas d’administration dont les PME ont besoin, mais d’une vision stratégique pour faire gagner le Made in France ». Sinon, les « postes d’expansion économique », longtemps logés dans les ambassades de France auraient trouvé la martingale.
Inter : le Plan ou l’anti-hasard
Certains, évidemment regrettent l’époque où « l’ardente obligation du Plan » dessinait une colonne vertébrale solide à l’économie française. Il y a bien un Haut-Commissariat au Plan, présidé par François Bayrou. Il vient justement de publier un rapport, rédigé par le Cnam, en ce début d’année : » Dynamique économique et réindustrialisation des territoires » ! Mais, il n’est pas besoin de 66 pages pour savoir intuitivement que les deux facteurs sont liés.
Où est l’esprit de ceux qui comme, Pierre Massé en quelques mots synthétisait l’essentiel : « Le regard sur l’avenir est le premier temps de l’action » ! Le Commissaire général du Plan de l’époque, dans les années 60, publia un ouvrage au titre évocateur : « le Plan ou l’anti-hasard » ! Un livre réédité que nos élites feraient bien de relire !
Ecrire un avenir industriel en fonction d’une vision politique de la société française, voilà ce qui a donné naissance au Concorde, au TGV ou au projet européen Airbus. Cet avenir industriel crée un lien sociétal, mais il alimente aussi les carnets de commandes des PME françaises, principales créatrices d’emplois dans notre pays !
Aujourd’hui, on a l’impression que les autorités courent comme un canard sans tête à la recherche des fameuses « relocalisations ». La crise sanitaire est passée par là. Les Français ont pris conscience qu’une grande partie de leurs besoins n’étaient plus couverts que grâce aux importations. Il est nécessaire d’encourager les PME à exporter ! Depuis, combien de temps que les gouvernements, qui se sont succédés, ont concocté des plans pour aider ces PME ou ETI françaises !
Inter : des gazelles, des souris et … des PME
En 2006, le ministre des PME, Renaud Dutreil dévoile le réseau des "gazelles", destinées à devenir le fer de lance de son plan de développement des petites et moyennes entreprises ! Il s’agit d’aider ces « belles PME » à exporter. Ces "gazelles", par opposition aux "souris" (le réseau dynamique des TPE) et aux "éléphants" (les grandes entreprises), avaient été sélectionnées … pour leurs capacités à vendre à l’étranger. En 2006, le commerce extérieur français n’avait pas tout à fait commencer son long déclin. Quatre ans plutôt, la France enregistrait son dernier excédent commercial. Il y a vingt ans ! La ménagerie de Renaud Dutreil ne sauve pas la patrie économique !
« Courir après les relocalisations » est inutile et inefficace si au préalable le pouvoir politique ne pose pas une vision claire de sa stratégie qui s’appuie sur des facteurs comme la compétitivité, l’innovation, les compétences…
Au-delà de notre niveau inquiétant de déficit commercial, un autre cataclysme nous a anesthésiés… momentanément. Comme nous n’arrivions plus à vendre à l’étranger, nous avons vendu… nos entreprises . Des fleurons entiers du « made in France » ont été cédés à l’étranger. Des marques illustres ont disparu. C’était l’époque, où pouvoirs publics mais aussi certains « Grands patrons » se bouchaient le nez en parlant de «l’avenir du secteur industriel ».
Dans son ouvrage (*), Nicolas Dufourcq, le patron de la BPI écrivait : «« Alstom, mis à terre par l’acquisition ratée des turbines d’ABB en 2003, Pechiney, abîmé par l’acquisition d’American Can, puis racheté par Alcan en 2005, et Arcelor, racheté par Mittal en janvier 2006 ».
A ces noms s’en sont ajoutés bien d’autres depuis : Technip, passé aux Américains en 2016, Lafarge repris par le Suisse Holcim en 2015… Nous n’arrivions plus à vendre, alors nous avons vendu certains de nos fleurons industriels.
Dans ce rapport sénatorial, on trouve dix mesures, quatre stratégiques et six opérationnelles. Il n’y a pas de baguette magique.
Avec une dette financière abyssale, un commerce extérieur dans le rouge vif peut-on parler encore de « souveraineté économique nationale ? » D’autant que le Président de la République ne cesse, lui de parler et de vanter la «souveraineté européenne » !