Christian Saint-Étienne, économiste universitaire, vient de publier le Conflit sino-américain pour la domination mondiale, l'Europe et la France dans le nouvel ordre mondial (Humensis Alpha). Il analyse la réforme des retraites.

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VA : La réforme des retraites s’impose-t-elle pour sauver le système en répartition ou parce que la France doit afficher pour Bruxelles sa capacité à réformer et à plus de rigueur budgétaire?

Il y a deux raisons principales de réformer le régime de retraite en répartition dont la principale est peu mise en avant par le gouvernement. La raison invoquée par le gouvernement est le retour à l’équilibre du régime d’assurance-vieillesse en 2030. C’est une raison qui s’entend d’autant plus que, selon les prévisions du scénario réaliste du COR, ce régime connaît un déficit structurel. La réforme proposée permet le retour de l’équilibre à l’horizon 2030 avec des fortes incertitudes au-delà si la croissance ne redémarre pas rapidement.

Mais l’intérêt du recul progressif de l’âge de départ à la retraite est la création de richesses. Il n’y a pas d’autre source première de création de richesse que le travail des hommes. Or en reculant l’âge de départ à la retraite, on peut en attendre une accélération non négligeable de la croissance sous deux conditions : 1/ il faut investir dans les compétences des travailleurs séniors, ce qui suppose d’allouer plus de fonds de formation aux travailleurs de plus de 40 ans jusqu’à 64 ans. Je propose qu’un accord national interprofessionnel alloue 40% des fonds de formation aux plus de 40 ans. 2/ Il faut arrêter de penser que les travailleurs âgés sont vieux. Aujourd’hui, lorsque l’on n’a pas de problème de santé majeur, on est ‘jeune’ jusqu’à 77 ans au moins. Il faut donc utiliser les compétences des travailleurs séniors pour améliorer le savoir-faire et le savoir-être des jeunes. Je propose de mettre en place, par accord de branche, le système suédois du 80 – 90 – 100. Après 62 ans, une part importante des travailleurs les plus qualifiés, à chaque niveau de qualification, travaillerait 4 jours par semaine (80% du temps de travail), en touchant 90% de son salaire et ferait de la formation des jeunes le cinquième jour (100% de présence).

Par ailleurs, la France a un problème de crédibilité budgétaire avec un déficit public maintenu à 5% du PIB en 2023, alors que les autres pays européens ont entamé leur consolidation budgétaire après la crise du Covid. Il faut réduire le déficit, pas pour plaire à Bruxelles, mais parce que l’on ne peut pas laisser que des dettes à nos enfants.

VA : Le Fonds de Réserve des Retraites, créé en 2001 par Lionel Jospin, est utilisé pour payer les dettes de la Sécu… Ce Fonds, mieux abondé, aurait-il pu être efficace pour le système de retraite.

Oui, il aurait fallu éviter de piocher dedans pour rembourser les dettes de la Sécu et porter le taux de cotisation à 1%. Mais cela aurait supposé beaucoup de rigueur dans la gestion publique qui semble malheureusement inatteignable dans notre pays depuis une quarantaine d’années. Il faut se souvenir qu’en 1980, la dette publique nette était nulle et nous avions la dette nette la plus faible des pays du G7. Mais, en rappelant la situation de la France de 1980, on croirait évoquer un autre pays que la France surendettée d’aujourd’hui…

VA : Le gouvernement a renoncé faire gérer l’Agirc-Arco par l’Urssaf ? Y avait-il des buts cachés ?

Le système fonctionnait assez bien et il n’y avait pas d’urgence à ce changement auquel le gouvernement vient de sous la pression syndicale. Il est vraisemblable que c’était en partie motivé par les réserves accumulées par ce régime. Si le gouvernement mettait la main dessus, soyons clair, ce serait du vol. Un vol d’autant plus insupportable, que l’Etat impécunieux et mal géré, pillerait des régimes excédentaires qui ont été bien gérés par les partenaires sociaux. Ce coup de force aurait très mal tourné socialement et politiquement…

VA : Peut-on imaginer un jour, en France, aborder sereinement la question de la capitalisation en matière de retraites ?

Je pense que la réforme de la répartition, avec le recul de l’âge de départ à la retraite est un préalable à la capitalisation. Il manque, dans la réforme actuellement proposée par le gouvernement, de plafonner l’assiette de prélèvement des cotisations de la répartition, comme dans d’autres pays, par exemple à 15 000 euros par mois ou 180 000 euros par an (dans d’autres pays, c’est moins de 5 000 euros par mois). Les personnes gagnant plus que 15 000 euros mensuels prendraient des assurances retraite complémentaire privées si elles le souhaitent.

Dans le même temps, il faut ouvrir la possibilité de cotiser à des régimes de retraite par capitalisation capables de compléter les pensions en répartition par des pensions en capitalisation. La capitalisation ne sera qu’un complément de revenus, comme pour la Préfon, mais ce complément peut être d’autant plus utile que les pensions en répartition vont au mieux se maintenir en pouvoir d’achat, voire plus vraisemblablement baisser.

(*) Economiste universitaire 

(*) « Le conflit sino-américain pour la domination mondiale – L’Europe et la France dans le nouvel Ordre mondial » aux Editions Humensis Alpha