La Journée mondiale de l'audition est passée inaperçue au Liban, seules quelques organisations spécialisées et hôpitaux ayant marqué l'événement. Pour la plupart des citoyens, cette journée est restée méconnue, éclipsée par les crises sécuritaires, politiques et économiques qui secouent le Moyen-Orient et au-delà. Ce manque de sensibilisation reflète une lacune plus large dans nos sociétés : l’attention insuffisante accordée aux questions de santé.
Dans les sociétés arabes, la communauté sourde continue de faire face à des défis majeurs dans de nombreux aspects de la vie. Entre les idées reçues sur leur condition, le manque d'opportunités éducatives et professionnelles, et l'absence de politiques inclusives garantissant pleinement leurs droits, leur lutte reste un combat quotidien. Bien que certaines initiatives prometteuses aient émergé ces dernières années, le chemin vers une inclusion complète demeure long.
Sourd ou muet : dissiper les idées reçues
Le terme "sourd-muet" est souvent utilisé à tort pour désigner les personnes atteintes de perte auditive, alors qu’il existe une différence fondamentale entre ces deux conditions. Alan Martinos, interprète international en langue des signes et militant pour les droits des personnes sourdes, explique dans un entretien accordé à Al Safa News :
"Une personne sourde est quelqu’un qui a perdu la capacité d’entendre en raison d’un dysfonctionnement du système auditif, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’elle est muette. De nombreuses personnes sourdes peuvent apprendre à parler ou à communiquer verbalement en plus d’utiliser la langue des signes. En revanche, une personne muette souffre d’un trouble de la production de la parole, causé par une anomalie des organes vocaux ou des centres cérébraux responsables du langage, l’empêchant de parler, même si son ouïe est intacte."
Cette confusion, répandue dans la société, illustre un manque de sensibilisation qui entrave les efforts visant à défendre les droits des personnes sourdes et à favoriser leur intégration.
La langue des signes : un pont vers l’inclusion
La langue des signes est le principal outil de communication des personnes sourdes, mais elle reste largement méconnue dans le monde arabe, ce qui entraîne une forme d’isolement social. Contrairement aux idées reçues, la langue des signes ne se limite pas à des gestes simplifiés, mais constitue une langue à part entière, avec sa propre grammaire et syntaxe.
Ces dernières années, plusieurs initiatives ont vu le jour pour promouvoir l’apprentissage de la langue des signes. Parmi elles, l’initiative "Anamel", lancée avec le soutien d’Alan Martinos sous le slogan "Laissez parler vos doigts". De telles actions encouragent davantage de personnes entendantes à apprendre la langue des signes, contribuant ainsi à combler le fossé communicationnel et à bâtir une société plus inclusive.
L’éducation des personnes sourdes : obstacles et stratégies d’inclusion
L’accès à l’éducation reste l’un des défis majeurs pour la communauté sourde dans les pays arabes. De nombreuses écoles ne disposent pas des ressources nécessaires, telles que des interprètes en langue des signes ou des programmes adaptés.
Bien que certaines écoles spécialisées existent, elles restent peu nombreuses, ce qui pousse de nombreux enfants sourds à abandonner leurs études prématurément. Le manque d’universités proposant un environnement inclusif réduit encore davantage leurs chances d’accéder à l’enseignement supérieur.
Pour garantir l’égalité des chances en matière d’éducation, Martinos recommande plusieurs mesures :
- Intégrer la langue des signes dans les programmes scolaires et former les enseignants à son utilisation.
- Mettre à disposition des interprètes en langue des signes dans les établissements scolaires et universitaires.
- Encourager l’utilisation des technologies d’assistance, comme les applications de traduction instantanée pour les personnes sourdes.
- Les droits des personnes sourdes dans les pays arabes : entre réalité et aspirations
Bien que de nombreux pays arabes aient signé des accords internationaux en faveur des droits des personnes en situation de handicap, les lois locales restent souvent insuffisantes pour protéger et autonomiser les personnes sourdes. Parmi les principales lacunes législatives, on note :
- L’absence de reconnaissance officielle de la langue des signes, ce qui limite son usage dans les institutions publiques.
- Le manque de politiques inclusives sur le marché du travail, rendant difficile l’accès à l’emploi.
- Des services de santé inadaptés aux besoins des personnes sourdes, rendant la communication avec les professionnels de santé compliquée.
- Les sourds et le marché du travail : défis et opportunités
Sur le marché du travail, la communauté sourde fait face à de nombreux obstacles, notamment la discrimination à l’embauche et l’absence d’aménagements adaptés, ce qui entraîne des taux de chômage élevés.
Malgré ces défis, plusieurs personnes sourdes ont réussi à s’imposer dans divers domaines, allant de l’entrepreneuriat aux arts et au sport. Pour améliorer leur insertion professionnelle, plusieurs solutions peuvent être envisagées :
- Imposer aux entreprises de recruter un certain pourcentage de personnes en situation de handicap dans le cadre de lois équitables.
- Déployer des interprètes en langue des signes sur le lieu de travail.
- Encourager l’entrepreneuriat des personnes sourdes en leur offrant un soutien financier et des formations adaptées.
- Le rôle de la technologie dans l’accessibilité des personnes sourdes
Les progrès technologiques récents ont grandement contribué à améliorer la vie des personnes sourdes. Parmi les innovations majeures, on retrouve :
- Les applications de traduction instantanée en langue des signes, facilitant la communication avec les personnes entendantes.
- Les implants cochléaires et appareils auditifs, permettant à certaines personnes sourdes de recouvrer partiellement l’audition.
- Le sous-titrage des vidéos et émissions télévisées, garantissant un meilleur accès à l’information.
Vers une société plus inclusive
Construire une société juste et inclusive pour les personnes sourdes implique de changer le regard porté sur elles et d’adopter des politiques de soutien adaptées. Cela nécessite une collaboration entre gouvernements, institutions éducatives, entreprises et société civile afin de garantir à la communauté sourde l’ensemble de ses droits, de l’éducation à l’emploi, en passant par la santé et la participation citoyenne.
En fin de compte, les personnes sourdes ne sont pas moins capables que les autres ; elles possèdent des compétences et des talents uniques qui ne demandent qu’un environnement bienveillant et une société éclairée pour s’épanouir pleinement.