Francis Perrin est l’un des meilleurs experts français des problématiques énergétiques. Il est directeur de recherche à l'IRIS. Il analyse pour al Safa news les effets de la politique énergétique des Etats-Unis sous Trump.
Francis Perrin
La hausse des droits de douane aux États-Unis fait chuter les cours du pétrole. Cette dynamique renforcée par une plus forte progression que prévu, des réserves américaines de brut va-t- elle avoir un impact durable en 2025 ?
La politique de Donald Trump en matière de droits de douane est clairement un facteur de réduction pour les prix du pétrole, en particulier avec le scénario d’une guerre commerciale entre les deux plus importantes économies mondiales, les Etats-Unis et la République Populaire de Chine. Une telle guerre ralentirait la croissance économique mondiale et celle de ces deux pays qui sont les deux plus grands consommateurs de pétrole. La Chine est par ailleurs le premier importateur mondial de pétrole. Il reste à voir si cette politique très agressive du président américain sera durable ou si, comme le montrent pour l’instant les exemples du Canada et du Mexique, les droits de douane seront rapidement retirés ou suspendus parce que Washington et Pékin concluent un ‘’deal’’. Cela dit, il y a d’autres aspects de la politique de l’Administration Trump qui auront un impact a la hausse ou a la baisse, sur les prix du brut en 2025. Donald Trump veut stimuler l’économie de son pays avec des baisses d’impôts, ce qui pourrait pousser les prix à la hausse. Il vient d’annoncer qu’il allait renforcer les sanctions américaines contre l’Iran en vue de réduire à zéro les exportations pétrolières iraniennes, ce qui est aussi un facteur de hausse.
Le prix du baril de pétrole peut aussi jouer un rôle dans la réduction de l’inflation américaine, non ?
Absolument ! La volonté de Trump d’accroître de façon très importante la production pétrolière des Etats-Unis est un facteur de baisse, s’il y arrive évidemment. Ses pressions sur l’Arabie Saoudite et l’OPEP pour qu’elles fassent baisser le prix du pétrole en augmentant leur production est un facteur de baisse, à condition que les pays concernés aillent dans ce sens. S’il contribuait à une détente durable au Moyen-Orient et à un arrêt de la guerre en Ukraine, il y aurait clairement un impact de baisse mais la phrase commence par un ‘’si’’. Quoiqu’il en soit, Donald Trump va influencer les marchés pétroliers cette année car il est Donald Trump, il est à la tête de la première puissance mondiale et son pays est à la fois le premier producteur et le premier consommateur de pétrole dans le monde. Mais bien malin qui pourrait dire si l’effet Trump sera globalement un facteur de hausse ou de baisse, car les deux tendances sont possibles en même temps. Une situation imprévisible donc, comme l’est Donald Trump.
Donald Trump a annoncé une relance des forages de pétrole aux Etats-Unis et le développement des moteurs thermiques pour sauver le secteur automobile américain. Quelles seront les conséquences sur le cours mondial du brut de pétrole ?
Les Etats-Unis produisent actuellement 13,5 millions de barils par jour (Mb/j) de pétrole brut. Jamais ils n’ont produit autant de pétrole. Jamais un autre pays n’a produit autant de pétrole. Et aucun autre pays ne pourra produire autant à court ou moyen terme. Pourtant, Donald Trump veut plus de pétrole et son secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a mis un chiffre sur la table : + 3 Mb/j dans les années qui viennent. Les pétroliers américains, tels qu’ExxonMobil et Chevron, sont beaucoup plus prudents. L’objectif des compagnies pétrolières américaines n’est en effet pas de maximiser la production mais de maximiser leur rentabilité, ce qui n’est pas forcément la même chose. Pour les véhicules électriques, l’Administration Trump refuse que l’on pousse le consommateur à aller vers ce type de voitures grâce à diverses incitations. Elle veut qu’il y ait un libre choix entre véhicules à moteur thermique (essence aux Etats-Unis pour les voitures) et les voitures électriques. L’augmentation de l’offre pétrolière des Etats-Unis aurait un impact a la baisse, alors que les décisions prises sur les véhicules électriques auraient un impact a la hausse !
Le gaz de schiste aux Etats-Unis , les subventions massives américaines provoquent des délocalisations d’entreprises, notamment européennes. Le coût de l’énergie US va-t’il durablement rester bon marché ?
Les Etats-Unis sont le premier producteur de pétrole et de gaz naturel grâce à ses hydrocarbures non conventionnels souvent appelés pétrole et gaz de schiste. Ils sont aussi le quatrième producteur mondial de charbon. Ce pays est donc un géant en termes d’énergies fossiles, ce qui donne à son industrie un avantage concurrentiel important face à ses concurrents européens et asiatiques qui ne disposent pas des mêmes atouts. l’Inflation Reduction Act (IRA), une loi adoptée par le Congrès américain au cours de l’été 2022 sous l’Administration Biden prévoit de très importantes incitations financières pour les énergies renouvelables et les véhicules électriques notamment et elle a beaucoup contribué à attirer des firmes étrangères car, pour bénéficier des largesses de l’IRA, il faut investir aux Etats-Unis.
Trump soutient l’IRA lancé par Joe Biden ?
Donald Trump n’est pas un grand fan de l’IRA et a commencé à bloquer la pompe à finances ouverte par cette loi. Cependant, avec ou sans l’IRA, les Etats-Unis vont conserver pendant pas mal de temps un avantage compétitif lié aux coûts de l’énergie.
L’annonce d’un investissement américain de 500 milliards sur plusieurs années dans les infrastructures et l’énergie pour développer les data centers de l’IA va avoir des implications mondiales. Emmanuel Macron annonce des investissements de plus de 100 milliards en France pour d’autres data centers…Le développement de l’IA va-t-il peser sur la demande d’énergie ?
Oui, sans aucun doute, notamment sur la demande d’électricité, et il faut s’y préparer. C’est d’ailleurs une raison clé derrière l’urgence énergétique décrétée par Donald Trump dès le 20 janvier. La course à l’intelligence artificielle entre les Etats-Unis et la Chine est capitale et Washington entend la gagner. Pour cela, il faut se mettre en ordre de bataille le plus rapidement possible. Or, les réseaux électriques des Etats-Unis ne sont pas assez fiables. Il faut donc accélérer les projets d’infrastructures énergétiques, d’où un décret présidentiel sur l’urgence énergétique nationale. Et les centaines de millards d’annoncés par Trump. La boucle est bouclée !
Voitures électriques, data centers donc, énergie renouvelable… Le cuivre, en tant qu'excellent conducteur électrique, est indispensable à la production. Va-t-il y avoir une flambée du prix du cuivre ? Une pénurie ?
De façon générale, la transition énergétique entraînera une forte augmentation de la production et de la consommation mondiales de plusieurs minerais et métaux clés, tels que le lithium, le cobalt, les terres rares et le cuivre (liste non exhaustive). Pour le cuivre, je ne suis pas trop inquiet sur les ressources mais les tensions seront fortes. Et les ressources ne suffisent pas. Il faut les découvrir, les développer et les mobiliser, ce qui nécessite de très gros investissements et pas mal de temps. Il ne faut pas non plus oublier la dimension du traitement (le raffinage), dans lequel la Chine est un acteur majeur. Les aspects géopolitiques seront donc essentiels dans la course aux matériaux clés de la transition énergétique. Il faut prendre dès maintenant la mesure du problème et mettre en place les stratégies (entreprises et Etats) adaptées. Un autre mot essentiel est ‘’technologie’’. Il convient de développer aussi le recyclage du cuivre et de travailler sur des substitutions possibles au cuivre. En bref, beaucoup de travail en perspective.