Le président américain se heurte au mur des réalités politiques et économiques . Pris entre ses promesses électorales et l’application de ses décrets, Trump varie entre business et décisions erratiques. Au cœur de sa politique, la négociation.
Sébastien Laye , économiste franco-américain, et conseiller economique des Republicans Overseas France (le parti républicain américain ) s’explique et répond aux questions d’Al Safa News.
Sébastien Laye
Donald Trump semble reculer sur les droits de douane, notamment avec le Mexique et le Canada . La discussion s’engage aussi avec Pékin…Le président se heurte-t-il au mur des réalités économiques ou entame-t’il des négociations plus larges ?
Le président Trump envisage aussi les droits de douane comme un outil politique et non seulement économique. A cet égard, les tarifs annoncés tant pour le Mexique que pour le Canada ne seront pas mis en place au cours des prochaines semaines afin de permettre une discussion sur plusieurs déséquilibres dans les relations avec ces deux pays. En tout cas, de manière diligente, ces deux voisins des Etats Unis ont mis fin au désordre sécuritaire qui régnait de leur côté de la frontière. Le Mexique va déployer 10 000 soldats puissamment armés à sa frontière et reprendre les illégaux expulsés. Le Canada vient de démanteler près de Vancouver le plus grand laboratoire clandestin de Fentanyl, et de réquisitionner 10 000 soldats pour la protection de la frontière. Le Panama expulse toute présence chinoise. Les discussions vont désormais porter sur les déséquilibres commerciaux, et les barrières imposées par différents pays aux produits américains depuis des décennies alors que nous mêmes avions éliminé toute protection pour vendre sur notre territoire.
Donald Trump menaçait donc de droits de douane massifs les nations qui refuseraient de venir produire sur le sol américain. Le Président américain ne prend-il pas le risque d’une crise economique mondiale majeure ?
Lorsque les Etats Unis, il y a plusieurs décennies, ont décidé d’intégrer au commerce mondial nombre de pays émergents dont la Chine (entrée à l’OMC), les différents partenaires s’étaient engagés à baisser leurs protections douanières. Nous l’avons fait, mais nous avons toléré (ce ne devrait etre qu’une transition) des protections douanières élevées contre nos produits, de la part de pays émergents comme la Chine ou l’Inde. Aujourd’hui, si ces pays sont vraiment de grandes puissances commerciales, il n’y a pas de raisons de ne pas mettre tout le monde au même niveau. Nous n’avons pas vocation à être ad vitam aeternam les dindons de la farce mondialiste. Nous avons accepté de financer, au détriment parfois de nos propres emplois et intérets, la croissance de nos alliés bien sûr, mais aussi parfois de pays qui aujourd’hui expriment une franche hostilité à notre égard. Or tout le monde a besoin du marché américain, zone de croissance la plus dynamique au monde, premier PIB (50% de plus que la Chine ou l’Europe).
Droits de douane ou production sur le sol américain. C’est l’ultimatum de Trump… Du bluff ?
Nous encourageons les entreprises exportant vers les Etats Unis à venir produire sur le sol américain : c’est ce qui c’était produit durant le premier mandat de Trump, où LVMH par exemple avait relocalisé une partie de sa production aux USA. Par ailleurs, avec l’établissement possible de l’ERS (external revenue service), ces droits de douane feront partie intégrante de notre stratégie budgétaire et fiscale. Si on revient sur la théorie économique, et les fondamentaux, notamment ceux de Ricardo, l’extrême libre échangiste n’est pas la condition sine qua non, tant s’en faut, de la prospérité des nations. Le monde s’est toujours accommodé de droits de douane, et il est normal quand un marché est très désirable pour les autres nations, que son accès devienne plus onéreux. Au contraire, un certain niveau de protection des marchés amène de la stabilité. La plupart des crises financières d’ailleurs (1929, 2008, crises asiatiques des années 1990, crises de l’euro) trouvent leur origine dans des périodes de libre échangisme débridé et sans contrôle….
La nouvelle politique economique de Trump possède nombre de risques inflationnistes. Quelle est votre analyse de cette politique ?
L’inflation à 10% que les Etats Unis ont pu connaitre en post Covid trouve son origine dans les erreurs de politique monétaire et d’argent facile déversé par l’administration Biden, à tort et à travers….La politique macroéconomique prônée par le nouveau Secrétaire d’Etat au Trésor, Scott Bessent, vise à restaurer les équilibres financiers (alors que l’inflation est encore un peu trop élevée vers 3%).C’est le plan 3-3-3. 3% de croissance du PIB, 3% du PIB en déficit, et augmenter la production de pétrole à 3 millions de barils par jour. Avec DOGE et une revue des politiques publiques dispendieuses menées par Biden (IRA), nous voulons mettre un terme à ces flots d’argent public qui ont déstabilisé notre économie, et visons durant ce mandat un passage des déficits de 6% à 3% du PIB. Par ailleurs, la partie persistante de l’inflation s’explique par deux postes de dépenses : l’énergie/carburant et le logement. Notre politique de dérégulation, qui a déjà commencé avec la première salve de décrets, est clairement déflationniste : en produisant plus de pétrole et de gaz, en augmentant l’offre afin de faire baisser les prix, on réduit la facture pour le consommateur. Dans les prochains mois, nous prendront aussi des mesures pour le logement : l’Etat fédéral dispose de vastes terres que nous allons remettre sur le marché tout en relâchant les contraintes de construction. Nous allons relancer les Opportunity Zones (des zones franches pour le logement) initiée lors du premier mandat Trump.
L’IA est une priorité absolue pour Trump. 500 milliards sur quatre ans sont promis par le Président américain. Est-ce jouable ? La course avec la Chine à l’innovation est lancée. Les Etats-Unis ont-ils un coup d’avance avec les puces électroniques, développées par Nvidia, les A100 ?
Le projet Stargate (JV entre OpenAI, Oracle, Softbank et d’autres partenaires techniques et financiers) s’ajoute à de nombreuses annonces (un premier projet de Softbank en Décembre annoncé à Mar-El-Lago de 100 milliards, le plan de Microsoft à plus de 100 milliards, celui de Meta à 65 milliards). Toute ces initiatives, si elles sont supportées par le gouvernement américain (dérégulation, permis, annonce politique), sont financées pour l’instant à 100% par le secteur privé. Si l’ambition est similaire à celle du Projet Manhattan (pour la bombe atomique) ou Apollo (course à l’espace), le rôle du secteur privé est cette fois ci essentiel et si l’Administration est prête à faire sa part, nous respectons aussile génie de nos entrepreneurs. Cette Administration est clairement « accélérationniste » (note : terme américain, en faveur de l’accélération technologique), en faveur du progrès technologique, face à une gauche devenue conservatrice voire rétrograde sur ces sujets. C’est vrai sur l’IA mais aussi la crypto, le nucléaire, l’espace. Le mythe de la frontière, inhérent à la psyché américaine, est de retour. L’IA et la quêtede la super intelligence est la nouvelle frontière américaine, et, en collaboration avec nos alliés, nous devons distancer les régimes autoritaires qui voudraient dominer le monde libre par ces technologies. Notre avance n’est pas simplement une question de semi conducteurs ou de data centers, même si nous sommes les leaders du secteur : c’est surtout le génie américain et occidental pour l’innovation, notre capacité à attirer les meilleurs cerveaux et à les laisser poursuivre leurs rêves, qui représentent notre force.
L’Europe risque d’être prise dans « l’étau économique » sino-américain. Comment doit-elle réagir ?
Les pays européens sont nos alliés et nos liens économiques et surtout technologiques sont plus denses entre nous qu’avec les autres régions du monde. Dans les dernières décisions sur les semi-conducteurs par exemple (la nouvelle Administration a 90 jours pour éventuellement les modifier), les Etats Unis ont banni l’exportation de nos derniers modèles vers les régimes autoritaires, l’ont conditionnée à certaines licences ou déclarations pour un autre groupe de pays, mais il n’y a aucune restriction pour une vingtaine de pays alliés. L’essentiel de l’Europe, dont la France, en fait partie, et un pays comme la France par exemple peut disposer des technologies américaines bien avant le reste du monde. Nous devons d’ailleurs à l’avenir, sur le sujet de l’IA, travailler plus étroitement ensemble ; mais d’abord pour faire avancer la science, et non juste la régulation ! Le continent européen doit sortir de sa léthargie. En premier lieu, mettre un terme à sa naïveté à l’égard des régimes autoritaires qui rêvent de la dépecer et de la priver de liberté. Deuxièmement, venir travailler avec ses Alliés à l’édification de ce monde nouveau. Dans les Echos, avec le président de Republicans Overseas France, Randy Yaloz, nous avons proposé un modèle de zones franches dites EDT pour les pays européens : pour participer à la révolution occidentale de l’IA tout en étant souverains, les pays européens doivent investir dans leur data centers et centres de recherche, en positionnant ces actifs stratégiques dans des zones sans impots et taxes, et proches de sources d’énergie : comme le renouveau du nucléaire prendra des décennies, relancer la production de gaz naturel en Europe même, monter en puissance sur les renouvelables, sera indispensable. L’Europe doit retrouver une ambition industrielle et technologique plus en phase avec les ambitions américaines actuelles. Ce n’est pas une question de politique politicienne, mais de survie du continent !
Marco Rubio, le Secrétaire d’Etat américain, confirme la suspension de l’aide américaine economique aux pays en développement. Quel est le but de cette suspension de 90 jours ?
Nous avons déjà décelé (via DOGE notamment) des abus dans l’aide aux pays en voie de développement (économique mais aussi militaire dans certains cas). Cette suspension ne concerne pas deux alliés de longue date, l’Egypte et Israel, car dans ces pays nous sommes confiants sur les flux d’argent et le contrôle de l’allocation des crédits. Ce n’est pas le cas dans nombre d’autres pays où la corruption, la gabegie administrative et la ploutocratie locale rendent parfois notre aide inefficace ou contraire à nos intérêts. La suspension est donc temporaire le temps d’auditer ces aides et de mesurer leur efficacité à l’aune de nos interets stratégiques. Par ailleurs, une fois mieux auditées et évaluées, ces aides seront passées en revue en fonction des objectifs budgétaires, dans un contexte où nous devons mieux contrôler nos dépenses publiques.