Les objectifs budgétaires de Michel Barnier sont-ils atteignables ? Un retour aux 3% en 2029 ?

Compte tenu de la prévision d’un déficit public autour de 6% en 2024, l’objectif de 3% pour 2027, qui était encore de mise il y a quelques mois, devenait complétement irréaliste. Donc, repousser l’objectif à 2029 est plus crédible. Un tel report dans le temps est compatible avec la nouvelle mouture du pacte de stabilité qui encadre les politiques budgétaires des pays de l’euro. J’ajoute un point important : étaler un peu dans le temps les ajustements requis permet de limiter l’impact négatif à court terme pour l’activité et l’emploi du relèvement des impôts et de la réduction de certaines dépenses publiques. A plus long terme, le fait de réduire le déficit public (Etat, collectivités territoriales et sécurité sociale) sera positif pour la confiance domestique et internationale envers la crédibilité et la signature de la France, pour l’investissement privé, l’activité, l’emploi…

Cela dit, le fait pour nous d’étaler les ajustements, donc « d’acheter » du temps en particulier vis-à-vis de nos partenaires européens, ne rend pas pour autant l’exercice financièrement aisé, ni socialement et politiquement confortable.

Et pour la croissance economique ?

On ne peut pas compter sur la croissance pour boucler la boucle en dopant les rentrées fiscales et en réduisant certaines dépenses : compte tenu des multiples chocs géopolitiques, du ralentissement chinois, de la stagnation allemande, etc., pas de miracle à espérer de ce côté-là Le gouvernement a raison de supposer une croissance du PIB de 1,1% pour 2025, comparable à celle de 2024.

Puisque ce serait folie de compter sur une accélération sensible de la croissance pour nous faire rentrer dans les clous, l’addition à régler est et sera conséquente des deux côtés, recettes fiscales et dépenses publiques. J’ai bien noté que la surtaxe sur les « riches » comme celle sur les grandes entreprises sont présentées comme « exceptionnelles », (« unà deux ans »). Je demeure néanmoins méfiant à ce sujet. Pour l’impôt sur les sociétés, il nous a fallu des années pour revenir de 33% à 25%, chiffre qui nous met encore au-dessus de l’Allemagne et de la moyenne européenne. Pour les grandes entreprises, nous faisons le chemin inverse et revenons à un peu plus de 33%. Serons-nous aussi lents que dans le passé à revenir à 25% ?

Très bien , mais du côté des dépenses publiques ?

Du côté des dépenses publiques, l’équation à résoudre est encore plus complexe. Elle suppose de réaliser ce que nous n’avons pas su faire depuis plusieurs décennies, malgré la foule des initiatives et des commissions sur ce sujet. Beaucoup de projets et de belles paroles, pas vraiment de résultats. Ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les chiffres : la France est la championne de la part des dépenses publiques par rapport au PIB (autour de 56%), et aujourd’hui nous n’avons même plus l’excuse d’un pays scandinave au-dessus de nous ; ils sont désormais tous en-dessous.

Que risque la France avec la procédure de déficit excessif enclenchée par la Commission de Bruxelles ?

La France est effectivement depuis cet été dans la procédure de déficit excessif, comme six autres pays de l’UE. Compte tenu des délais requis pour revenir dans les clous pour le déficit public (pour la dette publique, ce sera encore plus long !), nous ne somme pas près d’en sortir. Faut-il craindre les foudres de Bruxelles et de nos partenaires européens ? Sur le papier, oui. En pratique, un peu moins, et pour plusieurs raisons. D’abord, depuis l’arrivée de l’euro, beaucoup de pays-membres ont dérapé, du côté des déficits ou de la dette ou des deux. La France, l’Italie, le Portugal, la Belgique…et même en certaines occasions l’Allemagne. Concrètement, les sanctions pécuniaires organisées par le pacte de stabilité n’ont jamais été appliquées, minant ainsi la crédibilité du dispositif. La nouvelle version du pacte de stabilité n’y change rien sur ce terrain-là, car le système de sanctions pécuniaires venant aggraver la situation financière de pays déjà fragiles est pérennisé. Ensuite, la faiblesse de l’Allemagne fait probablement que nos amis allemands sont moins enclins qu’avant à agresser leurs principaux partenaires pour cause de dérapage de leurs finances publiques.

A court terme, la France doit plus craindre le jugement des investisseurs internationaux et des agences de notation que les rodomontades de Bruxelles. L’écart des taux longs avec l’Allemagne (le « spread » ) a quasiment doublé depuis la dissolution de l’Assemblée Nationale. A 10 ans, l’Etat français emprunte à un taux comparable à l’Espagne, pas très loin de la Grèce. Dans une situation où les investisseurs étrangers portent 40% de notre dette publique, il faut tout faire pour éviter un creusement brutal du spread français. Cela pourrait résulter d’une dégradation de la note de la France donnée par les grandes agences de rating, d’une crise politique dans le contexte fort compliqué que nous connaissons, etc. D’où l’exigence de la crédibilité du programme d’ajustement de nos finances publiques aux yeux des marchés financiers et des agences de notation.

Trop de coupes budgétaires peuvent -elles avoir des répercussions négatives sur la croissance et l’emploi en France dans les pr mois ?

Ne pas casser ce qui reste de croissance. Il faut réduire déficits et dette en resserrant la politique budgétaire et fiscale, sans trop peser, via l’impact récessif de tout cela, sur l’activité et l’emploi. Tout est donc affaire de tempo et de dosage. L’équilibre est très compliqué entre le trop et le pas assez, et de ce fait la démarche doit être résolument pragmatique. On sait d’expérience qu’une politique budgétaire trop restrictive, en pesant excessivement sur la conjoncture, réduit les rentrées fiscales (TVA, IS, impôt sur le revenu…) et gonfle certaines dépenses (aides aux chômeurs, prestations sociales…), donc accentue le déficit public au lieu de le réduire.

Dans ce contexte difficile, il existe malgré tout un atout né de l’évolution de la politique monétaire. La désinflation, c’est-à-dire le recul du taux d’inflation, s’est amorcée un peu partout, donc aussi en France et en Europe. Si elle n’est pas interrompue par un choc pétrolier créée par les événements au Proche et au Moyen-Orient, elle va permettre aux banques centrales de continuer le mouvement déjà amorcé de baisse de leurs taux directeurs. Ce qui compte pour la conjoncture, ce n’est pas la politique budgétaire et fiscale prise isolément, c’est la combinaison politique monétaire/politique budgétaire. Sous cet angle, les effets récessifs des ajustements budgétaires pourraient être, en partie du moins, « compensés » par les effets d’une politique monétaire progressivement assouplie. Une telle combinaison monnaie-budget devrait prévaloir en 2025, et peut-être encore en 2026 selon l’évolution de l’inflation et le comportement de la banque centrale. A l’horizon de 2027-2029, les ajustements budgétaires resteront requis du côté français, mais on ne peut rien prévoir de précis concernant la politique de la BCE.

L’ancien de ministre du Budget, Éric Woerth, estime l’effort budgétaire à 120 milliards sur les quatre prochaines années. Sans réforme fiscale d’ampleur est-ce tenable ?

Ces chiffres sont des ordres de grandeur crédibles. Sans oublier que 2025, malgré le contexte politique difficile, devra supporter une part plus importante de l’ajustement pour enclencher la trajectoire recherchée. Même si la fiscalité est et sera sollicitée, c’est sur la maîtrise des dépenses publiques qu’il va falloir surtout compter. Une réforme fiscale d’ampleur pourrait aider, mais on risque de l’attendre comme on attend Godot…avec , à la clef, des directions qui ne sont pas claires aujourd’hui.

La maîtrise des dépenses publiques est un chantier ouvert depuis plus de vingt ans, qui a débouché sur de bonnes intentions plutôt que sur des actions. Certes, l’exercice est socialement et politiquement compliqué, car dans l’affaire il risque d’y avoir beaucoup plus de perdants que de gagnants…Trois conditions sont nécessaires pour avancer sur ce chantier : 1/une volonté politique affirmée. 2/ une méthode qui permette d’évaluer l’efficacité (absolue et relative) des dépenses publiques et sociales. 3/une coordination nécessaire entre les trois étages concernés (Etat, collectivités territoriales, sécurité sociale), alors qu’aujourd’hui prévaut un peu de méfiance réciproque…

Avançons de manière pragmatique sur ces différents points. Beaucoup d’autres pays l’ont fait. Nous sommes désormais au pied du mur.

(*) Christian de Boissieu est Professeur émérite à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), vice-Président du Cercle des économistes et ancien Président du Conseil d’analyse économique auprès du Premier Ministre.