Que retenez-vous vous du discours de politique générale du Premier ministre, Michel Barnier devant l’Assemblée nationale ?
Il n'y a, à ce stade , que peu de choses à retenir. Un bon point a priori pour les réductions de dépenses de l'État. Pourquoi pas une hausse des impôts si elle est très ciblée et très limitée dans le temps (avec des engagements fermes dans ce dernier domaine). Pour le reste, en matière budgétaire, « le diable est (toujours) dans les détails ». Attendons donc des mesures précises le plus vite possible (et, dans bien des domaines, on peut agir à cadre législatif constant). « Laissons donc la chance au produit.... ». Pendant un temps très limité !
L’économie française est très fébrile. Le nouveau ministre des Finances , Antoine Armand a du pain sur la planche ! Comment voyez-vous son évolution pour cette fin d’année et en 2025 ? La question budgétaire et financière est-elle au centre de cette évolution ? … Michel Barnier annonce un retour aux « 3% » réglementaires qu’en 2029 !
La politique française est fébrile mais je ne pense pas que l'économie le soit. Il faut raison garder. Si l'on regarde les fondamentaux, on peut, certes, déceler de nombreux éléments de fragilité, notamment dans le domaine financier (c’est le cas pour le déficit public, pour la dette,...) mais il existe aussi de nombreuses raisons d'espérer. Deux exemples seulement : en matière d'emploi, la France se trouve dans une situation qu'elle n'avait pas connue depuis au moins deux décennies ; sur cette période, jamais le chômage n’a été aussi bas (même si des progrès doivent encore être accomplis dans ce domaine). Et en matière d'attractivité, notre pays reste le plus convoité des pays européens. Malgré ses handicaps, notamment en matière de surréglementation, la qualité de sa main d’œuvre et, peut être plus encore, de ses infrastructures (voies ferrées, routes, logistique, télécommunications,…) font nettement la différence entre notre pays et ses principaux concurrents. Au risque de me faire rabrouer par de nombreux économistes conjoncturistes, je ne pense pas que la dette ( publique ou nationale) soit le principal sujet de préoccupationaujourd’hui. Il n’est qu’à regarder les taux d’intérêts de la dette française. Les investisseurs institutionnels internationaux raffolent de notre signature. Le principal sujet d’inquiétude aujourd’hui estl'investissement : si l'investissement flanche notre horizon se verra très sérieusement assombri. Rappelons nous ici la célèbre équation d’Helmut Schmidt, chancelier fédéral allemand de 1974 à 1982 : « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après demain ».
Y’a t’il un problème de pouvoir d’achat alors que l’on parle de taxer encore les Français ? Faut il mettre en place une politique economique de la demande ? Continuer sur l’offre ?
Il y a sans nul doute un problème de pouvoir d'achat en France. Les récentes élections témoignent de l’importance de ce sujet pour des millions de français. Mais il faut choisir : on ne peut pas avoir à la fois le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière ! On ne peut pas avoir simultanément une politique de l'offre et une politique de la demande. De ce point de vue, il faut renoncer aux mesures démagogiques comme l'augmentation du SMIC, mesure symbolico-médiatique qui détruit des emplois et accentue les inégalités. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il ne faut rien faire. Il faut améliorer le pouvoir d'achat des plus défavorisés et surtout des plus fragiles. Pour cela il faut tourner le dos aux mesures, certes généreuses, mais plus encore dispendieuses. Il faut donner la priorité aux mesures ciblées. Fin du prêt à porter. Retour à la Haute Couture… Et la priorité N°1 doit ainsirester à l'investissement donc à l'offre.
Les allégements fiscaux consentis aux entreprises sont-ils une charge pour le budget ? Un vecteur d’avenir pour la croissance et l’emploi ?
Cela peut paraître paradoxal mais la réponse est « oui » aux deux questions. Dans ce domaine, plus encore que dans d'autres, le maître mot doit être la sélectivité. Comme pour le cholestérol, il y a des bons et des mauvais allègements fiscaux et il y a des bons et de moins bons investissements. Parmi les bons allègements fiscaux figurent ceux qui favorisent la compétitivité des entreprises et parmi les moins bons investissements figurent ceux qui n’intègrent pas suffisament de ruptures technologiques.Une priorité absolue doit donc êtredonnée à l'évaluation des effets de toute politique économique ce qui, aujourd'hui n'est pas fait sérieusement. C’était la mission première de feu le Commissariat Général au Plan, véritable phare des Trente Glorieuses, mission qui a été complètement dévoyée.
L’Allemagne est accusée de ne pas consacrer ses excédents budgétaires à relancer l’activité economique en Europe .. C’est un vrai débat ?
La réponse est « oui ». Ce qu'il faut bien voir et qui est assez largement sous-estimé, c'est que, malgré son excédent budgétaire, l'Allemagne est en crise. Et même en crise grave. Cette crise est d’abord démographique. Ceci explique lerecours massif à l'immigration initié par Angela Merkel qui a largement contribué àla montée de l'extrême droite. Mais la crise allemande est aussi et surtout une crise du modèle économique, celui reposant largement sur l'exportation de biens intermédiaires (pour faire simple les machines), biens intermédiaires qui sont de plus en plus concurrencés par les pays émergents dont l’industrie monte en gamme. D’où la nécessité aujourd’hui de renforcer l'axe franco-allemand même si cette thématique n'est pas, c'est le moins que l'on puisse dire, à la mode… Il faut dans, dans le même esprit, revenir à une Europe à deux vitesses, avec un noyau dur composé de 5 à 6 pays qui avancent sans avoir à demander l’autorisation des pays « périphériques ». Il faut donc remettre en cause le principe de décision à l’unanimité (comme il faut, dans un autre domaine, remettre en cause les accords de Schengen dans sa forme actuelle, avec cet absurde Rélement de Dublin qui fait du pays de première arrivée le seul responsable du migrant…)
L’Europe est aujourd’hui confrontée à « un défi existentiel » ; sans changement majeur , l’Europe serait condamnée à « une lente agonie ». Les propos de Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne ont frappé les esprits… Partagez-vous cette vision alarmiste ?
Bien que n'étant pas normand, ma réponse est « oui » et « non ». « Oui » parce que l'Europe ne prend pas véritablement la mesure des défis qu'elle a à affronter, notamment en matière technologique. Et « Non » parce que l'Europe a parfaitement les moyens capitalistiques et humains de relever ces défis. Comme toujours, ce qui manque c'est la volonté politique. Comme le note le récent rapport Draghi, parmi les 50 plus importantes capitalisations boursières dans la « Tech », ne figurent que quatre entreprises européennes. C’est un drame. Pour relever ce défi, il faut investir 700 milliards d'euros par an au cours de la prochaine décennie, soit bien plus que le plan Marshall au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale. D'où la nécessité et l’urgence qu’il y a de lancer un ou plusieurs emprunts européens, ce que l'Europe a déjà fait lors de la crise de la Covid. On est bien loin ici des jérémiades anti-européennes des extrêmes dont le déni de réalité est le crédo. A nous, gouvernements mais aussi citoyens, sinon de jouer, au moins d'assumer et d’affirmer notre détermination....
Vous parlez de « lancer des emprunts européens » … Le Premier ministre veut réorienter l’épargne vers un livret industriel… Le rapport de l’ex-gouverneur de la Banque de France Christian Noyer propose de relancer l’idée d’un produit d’épargne européen de long terme… s’agirait -il en France de réorienter , par exemple, l’assurance Vie ?
L'idée du rapport Noyer est avant tout d'orienter l'épargne des français vers les investissements à long terme. Il ne s'agit pas de siphonner l'assurance vie qui s'investit déjà à long terme mais plutôt d'élargir la "poche" de ce type d'investissement. Les français épargnent beaucoup mais hésitent à investir à long terme. Ceci explique le succès du Livret A. Il faut donc inciter ceux ci à prendre des risques (très limités) pour favoriser l'investissement à long terme.
(*) Professeur d’économie Paris VIII . Dernier ouvrage paru : « De l’économie d’abondance à l’économie de rareté » avec Patrick Artus. Editions Odile Jacob.