La 7eme édition de Choose France annonce des promesses d’investissements de 15 milliards d’euros. Emmanuel Macron est-il devenu le « Mozart de l’investissement » ?

Ces évènements lancés par Emmanuel Macron lors de son accession à la présidence de la République sont assurément utiles et participent au rayonnement de la France. Ils s’inscrivent pleinement dans la stratégie globale que nous évoquions précédemment. Les chiffres annoncés sont importants tant en termes de milliards investis que d’emplois à venir. Mais on sait, et c’est la loi du genre, que la présentation des projets est souvent maximaliste et qu’à l’arrivée, notamment en termes d’emplois réellement créés, le compte n’y est pas. Il faudra aussi regarder quelles sont les sommes directement investies par ces grandes entreprises étrangères et quel est le montant des aides publiques qui sont consenties pour attirer ces multinationales, qui savent parfaitement faire jouer la concurrence et font monter les enchères auprès des différents Etats pour obtenir le plus d’aides et de subventions.

Par ailleurs, si Emmanuel Macron a su marquer des points dans l’amélioration de l’image de la France auprès des décideurs internationaux, l’absence de progrès sur un certain nombre de fondamentaux (niveau des prélèvements obligatoires, déficit public, bureaucratisation et inflation normative…) freine et entrave grandement la dynamique.

En quoi les investissements promis par plusieurs des Gafam peut être une solution au déficit de notre balance commerciale ?

A côté de projets industriels classiques dans l’agro-alimentaire ou la pharmacie notamment, la majeure partie des investissements annoncés sont le fait des Gafam. Microsoft et Amazon vont développer de nouveaux data-centers. Ces sites informatiques ne produiront pas directement des produits exportables, mais ils sont très précieux car ils renforceront la souveraineté numérique du pays et permettront de disposer de capacités de calcul massives, atout majeur pour le développement de l’intelligence artificielle.

Depuis 2017 assiste -t’on à une ré industrialisation de la France ?

D’après les données compilées et publiées par le cabinet Trendeo, le solde des fermetures versus ouvertures de sites industriels est repassé en positif depuis 2016. C’est une bonne nouvelle qui s’explique notamment par la baisse des impôts de production, le maintien du crédit d’impôt recherche et la politique d’attractivité de la France en direction des investisseurs étrangers. Toutefois, il faut avoir présent à l’esprit que notre tissu industriel a subi une véritable hémorragie. Ainsi, rien qu’entre 2008 et 2020, ce ne sont pas moins de 940 sites industriels de 50 salariés et plus qui ont fermé en France. Il faudra donc du temps remonter la pente. De surcroît, la hausse du prix de l’électricité prive l’hexagone de ce qui fut longtemps un avantage comparatif significatif.

Vous affirmez que la grande distribution a pris la place de l’industrie dans les territoires. Cette grande distribution est-elle devenue le meilleur « percepteur de TVA » pour l’Etat ?

Le passage d’un pays de production à un marché de consommation qui s’est produit en une trentaine d’années en France s’observe à l’œil nu. Les centaines de zones commerciales de périphérie créées dans l’orbite des super ou hypermarchés partout en France, constituent le cœur battant de notre économie. 70% du commerce s’y effectue (d’où le déclin commercial de la plupart des centres-villes), ce qui est colossal. Les enseignes de la grande distribution drainent dans ces lieux des flux financiers impressionnants et captent la majeure partie de la consommation française, sur laquelle est assise la TVA. Cette dernière, collectée par les grandes surfaces, est ensuite reversée à l’Etat.

Ce que j’appelle le modèle stato-consumériste est bien huilé,dans la mesure où dans bon nombre de villes françaises, du fait de la désindustrialisation, c’est la puissance publique qui est à l’origine des flux monétaires via les salaires des fonctionnaires (l’hôpital est souvent le premier employeur dans une ville), les prestations sociales et les retraites. Donc l’Etat injecte massivement et se refinance ensuite par la TVA et la TICPE (nouveau nom de la TIPP) levées par la grande distribution. Là où le bât blesse, c’est que ce circuit n’est pas du tout équilibré. D’une part, la puissance publique dépense et distribue beaucoup plus qu’elle ne collecte (par rapport aux recettes, les dépenses affichent dans le budget de l’Etat un déficit moyen de 30% chaque année…), d’où l’accroissement régulier et non maîtrisé de la dette publique. Elle équivalait à 63% du PIB en 2003, nous sommes aujourd’hui à 110%.

Et d’autre part, toute une partie des biens qui sont vendus dans les zones commerciales et les grandes surfaces ne sont plus produits en France mais importés, d’où le déficit récurrent de notre balance commerciale (pas moins de 100 milliards en 2023).

La consommation des ménages demeure le moteur de la croissance française. Cette consommation a été réalisée depuis des décennies à crédit. L’accroissement du nombre de fonctionnaires en est un exemple. Sommes-nous à la fin du modèle économique français ?

On voit en effet que notre modèle stato-consumériste est à bout de souffle. La France aligne à la fois le plus haut niveau de prélèvements obligatoires de l’OCDE et une dette faramineuse. Difficile dans cette configuration de prélever davantage pour pratiquer ensuite la politique du chèque et soutenir la consommation. Or en parallèle, le pouvoir d’achat reste la priorité numéro 1 des Français et le gouvernement n’a plus de marge de manœuvre pour répondre à cette attente de la population. La situation est identique dans la fonction publique. Les dépenses publiques sont massives et n’ont cessé d’augmenter depuis des années, mais nous avons les infirmières, les enseignants et les policiers parmi les moins bien payés d’Europe… Ce cercle vicieux est à la fois le produit d’une bureaucratisation qui thrombose le fonctionnement de la société et des services publics et du choix court-termistejamais démenti pour la consommation au détriment de la production, qui a abouti à la paupérisation du pays.

L’état catastrophique de nos finances publiques est-il un risque pour la zone Euro ?

Nos partenaires européens sont habitués de longue date à ce que nous ne tenions pas nos engagements. A ceci près que par un effet cumulatif accentué par le « quoi qu’il en coûte », la dette et le déficit public atteignent aujourd’hui des niveaux records qui peuvent menacer l’équilibre de la zone euro. Le secrétaire d’Etat au Trésor de Nixon avait lancé à ses homologues européens la fameuse formule : « Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème ». Tout se passe comme si depuis la mise en place de l’euro, les différents locataires de l’Elysée et de Bercy avaient adopté la même attitude, générant une inquiétude croissante dans le reste de la zone euro.

(*) Directeur du Département Opinion de l’Ifop. Auteur de La France d’après. Tableau politique. Le Seuil 2023.