Philippe Chalmin, professeur à l’université Paris Dauphine et président fondateur de CyclOpe détaille la nouvelle édition du « rapport » mondial des matières premières.

Quelles sont les originalités de cette nouvelle édition du rapport Cyclope ?

Le trente-huitième rapport Cyclope porte en sous-titre la dernière phrase du Conte de Monté Christo d’Alexandre Dumas : « Attendre et espérer ». C’est là un bon résumé de l’état du monde en ces premiers mois de 2024. L’attente face aux déchaînements guerriers de l’Ukraine à la Palestine, face aux fractures qui font bien oublier les rêves de la mondialisation heureuse. Et puis l’espérance que les engrenages trouvent leurs limites et que les transitions se déroulent dans l’harmonie. Les marchés des matières premières, au sens le plus large, ne sont au fond que la partie émergée et visible de toutes ces tensions, le mercure sur le thermomètre de la température mondiale. Le Cyclope 2024 raconte des histoires de bulles qui ont éclaté, du lithium au fret maritime par conteneurs , mais aussi des tensions nouvelles pour le cacao ou le cuivre.

Au vu du contexte géopolitique, comment les prix du gaz ou du pétrole devraient évoluer ?

Pétrole et gaz ont des évolutions contrastées. La bulle du gaz naturel a éclaté. Aux Etats-Unis, on est , au stade de la production, à des prix négatifs. En Europe et en Asie, les prix sont dix fois moins élevés qu’au pic de l’automne 2022 ( mais deux fois plus que dans les années 2010). L’Europe vit aujourd’hui sans gaz russe . Et sauf catastrophe autour du détroit d’Ormuz, les pris devraient rester peu tendus. Pour le pétrole, les producteurs ( OPEP et Russie) font leur possible pour maintenir le prix du baril aux environs des 90 dollars. Les événements récents autour de l’Iran ont eu peu d’impact sur le marché. Ceci étant , avec une demande peu soutenue, sauf événement géopolitique majeur , le prix du baril de Brent devrait rester dans la partie basse d’une fourchette de 70 à 90 dollars .

Quelles évolutions pour le fret maritime en mer Rouge ou mer Noire, percuté par le conflit à Gaza ou par celui en Ukraine ?

La situation en mer Noire est presque « normale ». Sur la campagne achevée, l’ Ukraine a déjà exporté 40 millions de tonnes de céréales et le « corridor » qu’avaient négocié les Nations Unies n’est même plus nécessaire. En ce qui concerne la mer Rouge, l’impact principal porte sur les taux de fret par conteneurs et sur les perturbations de logistique en Méditerranée. À la limite, les problèmes de sécheresse sur le canal de Panama ont un impact concret plus déterminant.

Le monde agricole européen est inquiet. Quelles variations de prix attendues sur les grandes céréales ?

On peut presque parler, là aussi, d’éclatement de bulles. Par rapport au sommet du printemps 2022, le prix du blé a diminué de plus de la moitié, comme celui du maïs : d’excellentes récoltes un peu partout , la normalisation en mer Noire, la réduction de la demande chinoise, expliquent ce recul qui. Pus ramène à la période d’avant Covid . Et les perspectives actuelles ne sont pas bien encourageantes.

À mi chemin entre matières premières et agriculture ! L’UE signe un traité de libre échange avec le Chili … il s’agit d’un accord sur le cuivre chilien ou de transactions agricoles pour l’Europe ?

La tradition est que l’agriculture soit la variable d’ajustement des traités de libre-échange… C’est la question de la viande ( importation) qui a fait échouer les négociations pour le traité avec l’Australie. Dans le cas du Mercosur, le constat est encore plus flagrant. Mais de toutes manières, un accord n’apporterait rien de plus en matière de sécurité d’approvisionnement de lithium ou de cuivre.

Le marché de la volaille ou celui de la viande bovine sont-ils en danger face aux filières ukrainiennes ou avec la signature éventuelle du traité du Mercosur ?

Les marchés de la viande sont parmi les plus sensibles en Europe. Les exportations ukrainiennes , désormais totalement libres, contribuent à déséquilibrer la filière avicole . L’équilibre porcin est menacé par le recul des importations chinoises…

Pourquoi le cours du Cacao flambe t’il ? Quelles sont vos prévisions pour les mois qui viennent ?

Pendant trop longtemps les prix du cacao sont restés déprimés. Le résultat est qu’en Afrique de l’Ouest ( 75% de la production mondiale) les plantations ont été mal entretenues et peu renouvelées. De plus , une sécheresse jamais vu depuis 2003 a frappé l’Afrique de l’Ouest. Partout , la production est en recul : -11% au niveau mondial . Et pourtant les broyages diminuent à peine malgré la flambée des prix qui ont été multipliés par trois en quelques mois. En toute logique, les prix devraient se retourner et peut-être même de façon violente. Après de 12.000 dollars la tonne, nous sommes en pleine « exubérance irrationnelle ». Il reste à attendre et espérer ! !

Le Cyclope, visionnaire
Le trente huitième rapport CyclOpe vient d’être publié. Comme chaque année cette « bible des matières premières » couvre l’intégralité de l’actualité des marchés de matières premières et de commodités. Son sous-titre cette année est emprunté à un grand auteur français : « Attendre et Espérer » (Alexandre Dumas – Le comte de Monte-Cristo). Ainsi, CyclOpe offre une analyse complète des tensions géopolitiques, économiques et climatiques dont les marchés sont les révélateurs. Par le passé, les experts qui le rédigent ont le plus souvent décrypté avec justesse l’évolution des marchés.