Alsafa News: L'Arabie saoudite a réduit sa production d'un million de barils/jour en juillet, prolongée deux fois jusqu'à août, puis jusqu'à septembre. Quel est le but de ce pays influent de l’OPEP ?
Francis Perrin: Lors de la dernière réunion ministérielle de l'OPEP+, le 4 juin, l'Arabie Saoudite a effectivement annoncé une réduction volontaire de sa production de 1 million de barils par jour (1 Mb/j) de brut en juillet. Ce pays a ensuite maintenu cette réduction en août puis en septembre et, tout récemment, il a indiqué que celle-ci serait prolongée jusqu'à la fin 2023. Cette dernière annonce a contribué à pousser à la hausse les prix du pétrole, le Brent atteignant et dépassant légèrement le seuil des $90 par baril. C'est bien ce que voulaient le royaume saoudien, le premier exportateur mondial de brut, et les autres membres de l'OPEP+. Au cours du printemps, par exemple à la mi-mars ou au début mai, le prix du pétrole Brent, l'un des principaux bruts de référence dans le monde, était tombé juste au-dessus de $70/b. Un niveau jugé trop bas par ces pays exportateurs qui redoutaient d'ailleurs que les cours du pétrole puissent descendre davantage du fait d'une situation économique mondiale préoccupante. La stratégie de l'OPEP+ de réduction de l'offre, dans laquelle l'Arabie Saoudite a joué un rôle clé, a manifestement porté ses fruits. Le prix du Brent a augmenté d'environ 25% entre la fin juin et le 6 septembre. Un beau résultat pour les exportateurs de brut dont les actions ont bien sûr été favorisées par l'augmentation de la demande pétrolière mondiale.
Alsafa News: La Russie a baissé sa production, pour sa part, de 500.000 barils/jour en août, puis de 300.000 barils/jour en septembre. Quelle analyse faites-vous de cette décision ?
Francis Perrin: C'est la même logique, la Russie faisant aussi partie de l'OPEP+ et ayant de surcroît encore plus besoin de prix du brut élevés du fait de la guerre en Ukraine et des sanctions économiques occidentales qui ciblent notamment son secteur des hydrocarbures. Le pays a indiqué qu'il réduisait de 500 000 b/j ses exportations de pétrole en août puis ce volume est passé à 300 000 b/j en septembre et il est prévu maintenant que cette dernière diminution dure jusqu'à la fin de cette année. Cela dit, l'impact sur les marchés pétroliers des décisions russes est moindre que celui qui découle des annonces saoudiennes. Les chiffres sont plus faibles, les annonces russes ne sont pas toujours considérées comme fiables et les exportations pétrolières (brut et produits raffinés) de ce pays étaient déjà orientées à la baisse. Elles étaient estimées à 8 Mb/j en décembre 2022 par l'Agence Internationale de l'Energie (AIE) et à 7,3 Mb/j en juillet 2023.
Alsafa News: L’Iran, l’Argentine, l’Egypte, l’Ethiopie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis vont faire partie du bloc des pays émergents à partir de janvier 2024. La montée en puissance des Bric’s , avec l’arrivée notamment de l’Arabie Saoudite, peut-elle changer l’attitude de l’OPEP vis-à-vis de l’Occident ?
Francis Perrin: Il est intéressant de noter que cet élargissement de ce que l'on appelle jusqu'à présent les BRICS concerne six pays, dont cinq sont des producteurs de pétrole, l'exception étant l'Ethiopie. Sur ces cinq pays, trois sont des pays pétroliers importants ou très importants, l'Arabie Saoudite, l'Iran et les Emirats Arabes Unis (EAU), et deux, l'Egypte et l'Argentine, des producteurs de taille moyenne. Les trois premiers sont aussi membres de l'OPEP (13 pays) et de l'OPEP+ (23 pays).
C'est un renforcement majeur pour les BRICS mais cela ne change pas grand chose pour l'OPEP et l'OPEP+. Cette organisation et cette coalition ne se positionnent pas par rapport à l'Occident. Elles ont pour but de défendre les intérêts des pays exportateurs de pétrole tout en prenant en compte ceux des consommateurs et de l'industrie pétrolière, soit les trois composantes clés du monde pétrolier. Les discussions au sein de ces deux entités portent sur la demande de pétrole, l'offre, les stocks, les prix, les investissements et, ce, sans visée politique ou géopolitique particulière. Ce serait d'ailleurs très difficile car ces 13 ou ces 23 pays sont différents sur à peu près tout sauf sur un point : ils sont tous dépendants du pétrole et ont donc intérêt à se mettre autour d'une table pour coopérer afin d'accroître leur influence sur le marché pétrolier et les prix du pétrole.
Alsafa News: L’élargissement du nombre de pays membres des Brics est-il un vrai succès diplomatique pour l’Iran, poids lourd de l’OPEP ?
Francis Perrin: C'est d'abord un succès pour les membres actuels des BRICS qui ont réussi à se mettre d'accord sur cette liste de six pays qui vont les rejoindre. C'est aussi un succès pour ces six pays car beaucoup d'autres frappaient à la porte des BRICS et il n'y avait pas de place pour tout le monde. Sur ces six heureux élus, il y a trois pays du Moyen-Orient (Arabie Saoudite, EAU et Iran), trois pays arabes (Arabie Saoudite, Egypte et EAU) et quatre pays de la région Moyen-Orient/Afrique du Nord (les trois cités à l'instant plus l'Iran). C'est donc aussi un succès pour cette région et pour le monde arabe. Et l'Iran a effectivement toutes les raisons de se réjouir de l'acceptation de sa candidature alors qu'il subit les sanctions économiques américaines, réimposées par l'Administration Trump en 2018, et qu'il est plutôt isolé dans son soutien à la Russie dans la guerre en Ukraine. Par ailleurs, l'entrée conjointe de l'Iran et de l'Arabie Saoudite dans les BRICS est une manière de consolider le rapprochement entre ces deux pays qui a commencé à se concrétiser en mars 2023 sous l'égide de la Chine. Pour l'Iran, ce rapprochement et l'entrée dans les BRICS constituent deux grands succès diplomatiques de l'année 2023. Comme au rugby, il lui faudra encore transformer l'essai mais les jeux ne sont pas faits.