Le marché du travail libanais est confronté à une grave pénurie de compétences, mettant en difficulté les employeurs qui peinent à recruter une main-d'œuvre qualifiée répondant aux besoins du marché. Selon le rapport de la Banque mondiale de 2023, 31 % des entreprises libanaises souffrent d’un manque de talents adaptés, tandis que 75 % des employeurs estiment que l’écart entre l’éducation et les exigences du marché du travail ne cesse de se creuser.

Les causes profondes du déficit de compétences

Le Dr Khaldoun Abdel Samad, économiste, explique à Al Safa News les principales raisons de cette fracture grandissante :

1. La crise économique et l’effondrement financier

Depuis 2019, la crise économique a entraîné la fermeture de milliers d’entreprises et le licenciement massif de travailleurs, poussant de nombreux Libanais à chercher des opportunités à l’étranger plutôt qu’à développer leurs compétences sur place. Selon l’Organisation internationale du travail, le taux de chômage a atteint 29,6 % en 2023, aggravant ainsi les difficultés de recrutement.

2. L’exode des talents et la fuite des cerveaux

Face à la détérioration économique, le Liban connaît une vague de migration massive de travailleurs qualifiés, notamment dans les secteurs de la médecine, de l’ingénierie et des technologies. D’après la Banque mondiale, plus de 200 000 Libanais ont quitté le pays depuis 2019, majoritairement des jeunes diplômés, accentuant la pénurie de compétences locales.

3. Un système éducatif inadapté aux besoins du marché

Le modèle éducatif libanais privilégie encore l’enseignement académique au détriment des compétences pratiques, laissant chaque année des cohortes de diplômés insuffisamment préparés pour le monde professionnel. Une étude du World Economic Forum indique que 60 % des emplois de demain nécessitent des compétences techniques avancées, alors qu’une grande partie des diplômés libanais ne les possèdent pas.

Les compétences les plus recherchées sur le marché libanais

Dans un contexte de mutation technologique et de transformations économiques, certaines compétences deviennent incontournables pour intégrer le marché du travail :

Compétences numériques et en informatique : programmation, analyse de données, marketing digital, des secteurs en croissance malgré la crise.

Compétences techniques et artisanales : électricité, plomberie, soudure, métallurgie, face à un manque criant de main-d'œuvre qualifiée.

Services de santé et aide sociale : une demande accrue pour les soignants, notamment en raison de la migration massive des médecins et infirmiers.

Tourisme et hôtellerie : bien que fragilisé par la crise, ce secteur reste l’un des piliers économiques du pays et requiert des compétences en cuisine, hôtellerie et service client.

Énergies renouvelables : avec la transition vers des solutions durables, la demande pour les ingénieurs et techniciens en énergie solaire et éolienne est en hausse.

Quelles solutions pour combler le déficit de compétences ?

Face à cette situation, plusieurs pistes peuvent être envisagées pour réduire l’écart entre l’offre et la demande de travail :

1. Développer des programmes de formation professionnelle spécialisés

L’enseignement technique doit être renforcé par des formations courtes et ciblées sur les besoins réels du marché. Les grandes entreprises pourraient collaborer avec des instituts pour proposer des formations pratiques aux étudiants.

2. Encourager le partenariat entre le secteur public et privé

Une coopération étroite entre l’État et les entreprises permettrait d’identifier les secteurs en tension et de concevoir des cursus adaptés. Par exemple, des entreprises technologiques pourraient offrir des ateliers gratuits pour renforcer les compétences numériques des jeunes.

3. Miser sur l’apprentissage en ligne et la formation à distance

Les plateformes comme Coursera et Udemy offrent des opportunités d’apprentissage accessibles et abordables pour acquérir des compétences recherchées.

4. Stimuler l’entrepreneuriat et les petites entreprises

Lancer son propre projet peut être une alternative à l’emploi salarié. Un accompagnement financier et des formations en gestion d’entreprise pourraient encourager cette dynamique.

5. Mettre en place des incitations pour rapatrier les talents

Des offres compétitives et des opportunités de formation continue pourraient inciter les expatriés à revenir contribuer à l’économie locale.

Un modèle inspirant : l’initiative ANERA

L’ONG ANERA a mis en place un programme de formation pour combler le déficit de compétences au Liban. Charbel Choucair, consultant en recrutement, en explique les détails à Al Safa News :

"Nous organisons des sessions de formation dans tout le pays, couvrant divers domaines, notamment le bâtiment (électricité, menuiserie, soudure), l’agriculture, la santé et l’hôtellerie. Nous proposons aussi des formations en couture et en informatique (IT). Ces programmes visent les jeunes de 18 à 25 ans, avec 50 % de Libanais, 45 % de Syriens et 5 % de Palestiniens, sous réserve de documents légaux en règle. Chaque session dure environ 200 heures et débouche sur un certificat reconnu par le ministère de l’Éducation."

Mais pour ANERA, le succès ne se mesure pas uniquement à l’obtention du diplôme :

"Notre objectif est l’insertion professionnelle. Après la formation, nous envoyons les participants en stage dans des entreprises réputées. Par exemple, les étudiants en hôtellerie sont placés dans les meilleurs hôtels et restaurants de Beyrouth, et beaucoup décrochent un emploi à l’issue du stage."

Selon Choucair, l’enjeu est aussi de changer la perception négative de la formation professionnelle au Liban :

"Dans les pays avancés comme le Canada, les professionnels en reconversion suivent des formations de 150 à 200 heures pour embrasser de nouvelles carrières. Nous devons valoriser les métiers techniques – ébénisterie, plomberie, peinture, électricité, agriculture – car ils sont essentiels et bien rémunérés dans de nombreux pays."

Un changement nécessaire pour assurer l’avenir du marché du travail

Pour que le Liban puisse combler son déficit de compétences et répondre aux besoins de son marché du travail, une réforme en profondeur de l’éducation et de la formation est indispensable. Si des initiatives comme celle d’ANERA ouvrent la voie, un engagement accru des autorités et du secteur privé sera déterminant pour redonner espoir aux jeunes et éviter une fuite massive des talents.