Sur les pas de son prédécesseur Michel Aoun, le président Joseph Aoun choisit l’Arabie saoudite comme destination de sa première visite officielle à l’étranger. Mais au-delà du symbole, cette visite intervient dans un contexte libanais, régional et international profondément remanié. L’élection d’un nouveau président après plus de deux ans de vacance du pouvoir, la formation d’un gouvernement, la guerre israélienne qui a affaibli le Hezbollah tant militairement que politiquement, et le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis sont autant de paramètres qui redéfinissent la donne.
Joseph Aoun se rend à Riyad avec des dossiers déjà portés par Michel Aoun avant lui, mais cette fois dans des conditions plus favorables. Son prédécesseur avait multiplié les gestes de bonne volonté pour renouer avec le royaume, sans toutefois parvenir à s’imposer comme un partenaire crédible, en raison de ses relations avec le Hezbollah, mais aussi de sa gestion conflictuelle de la relation avec le Premier ministre précédent Saad Hariri. À la différence de Michel Aoun, élu contre la volonté de Riyad et sanctionné par un isolement économique, Joseph Aoun a été porté à la présidence sous l’impulsion saoudienne et a immédiatement bénéficié d’une reconnaissance officielle, marquée par la visite de son ministre des Affaires étrangères.
L’Arabie saoudite semble prête à rouvrir la porte à des investissements au Liban, certes limités et conditionnés à des réformes économiques et financières, mais qui marqueraient néanmoins une rupture avec l’ostracisme des années précédentes. Une reprise progressive des visites saoudiennes au Liban est également attendue, signe tangible d’un réchauffement entre Beyrouth et Riyad. Mais cette ouverture repose sur une ligne rouge : que le Liban entre dans une nouvelle ère où le Hezbollah ne jouerait plus un rôle central.
Un tournant stratégique pour Beyrouth
Cette visite revêt une importance particulière dans un contexte géopolitique transformé. Si la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran reste vive, elle s’exprime désormais sur un mode plus diplomatique que frontal. Téhéran a perdu du terrain en Syrie et au Liban, ce qui libère Joseph Aoun de certaines contraintes auxquelles Michel Aoun devait faire face. Cette nouvelle dynamique lui permet de renforcer les liens avec le monde arabe sans risquer une confrontation directe avec l’Iran.
Toutefois, un écueil pourrait se présenter : la pression américaine pour une normalisation avec Israël. Si Washington pousse Joseph Aoun à engager des discussions en ce sens, il devra évaluer la position saoudienne avant de se prononcer, afin de ne pas compromettre la relation privilégiée qu’il tente d’établir avec Riyad. De même, le rapprochement entre l’Arabie saoudite et le Qatar pourrait jouer en sa faveur, ces deux pays ayant une influence déterminante sur la scène libanaise et syrienne.
L’Arabie saoudite a par ailleurs su manœuvrer habilement au sein du comité des « Cinq » qui s’occupait du dossier libanais. Initialement en retrait, Riyad a progressivement éclipsé la France, l’Égypte et le Qatar pour imposer une dynamique américano-saoudienne. Ce processus a abouti à l’élection de Joseph Aoun et à la nomination de Nawaf Salam comme Premier ministre, ce qui a bénéficié d’une approbation explicite du prince héritier saoudien.
Un Liban dans la tourment des tensions régionales
Le contexte régional reste marqué par de fortes tensions, notamment en Palestine. Soutenue par Washington, la stratégie israélienne visant à expulser les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie inquiète Riyad, d’autant que Benjamin Netanyahu pousse pour une expansion territoriale. L’Arabie saoudite, ayant refusé ce projet, a été ouvertement interpellée par Israël sur la possibilité d’accueillir ces réfugiés sur son sol.
Sur le front libanais, Joseph Aoun a été informé par les Américains que les cinq points stratégiques récemment occupés par Israël au sud du Liban ne seraient pas restitués. Grâce aux nouvelles technologies militaires, Tel-Aviv a pu établir un contrôle territorial sans présence directe de troupes, transformant ces zones en territoires surveillés et inaccessibles, tandis que la Syrie reste sous la menace de frappes aériennes répétées.
Enfin, cette visite intervient à un moment clé, à l’approche d’un sommet entre Donald Trump et le président russe Vladimir Poutine à Riyad. Ce rendez-vous pourrait redessiner l’équilibre stratégique en Europe et au Moyen-Orient, notamment en mettant fin à la guerre en Ukraine et en scellant un nouveau partenariat russo-américain. Dans ce contexte, Joseph Aoun pourrait chercher à garantir que le Liban ne soit pas marginalisé dans les grandes négociations à venir. Riyad, qui s’impose désormais comme un acteur incontournable sur la scène diplomatique, pourrait jouer un rôle clé pour protéger les intérêts libanais dans cette recomposition géopolitique.