Premiers revers pour Javier Milei, élu President de la République d’Argentine, il y a deux mois . La justice bloque certaines de ses réformes libérales. La Gauche argentine tente de mobiliser la rue contre Milei.

La privatisation d'entreprises publiques comme la compagnie aérienne Aerolineas Argentinas ou le groupe pétrolier YPF sont à l’ordre du jour. Les sociétés publiques seront toutes transformées en sociétés anonymes en vue de leur privatisation… Que pensez de cette décision sur un plan économique ?

Un Etat peut privatiser une entreprise publique pour améliorer sa performance économique et sa gouvernance, réduire la dette publique, encourager la concurrence et favoriser l’innovation. Lorsque les conditions sont réunies, la privatisation peut être un grand succès. Le nouveau président argentin, Javier Milei, a prévu de vendre des dizaines d’entreprises publiques ou semi-publiques, qui sont en pertes pour la plupart, notamment YPF, Aerolineas Argentinas, les réseaux ferroviaires, les entreprises médiatiques publiques, ainsi que la société d'eau et d'assainissement AySA. Ces entreprises ne seront pas vendues n’importe comment et à n’importe quel prix. Milei a par exemple déclaré qu’il aura besoin de deux ans de transition pour privatiser YPF - qui a été « massacrée » par les marchés (la vendre aux prix actuels serait assimilé à un don). YPF a grandement besoin de nouveaux investissements pour moderniser ses infrastructures et systèmes d’extraction, mettre en œuvre ses plans d’exploitation de réserves d’hydrocarbures de schiste, et continuer de développer ses projets de pipelines et d’exportation de gaz naturel liquéfié. Milei veut faire d’YPF son Saudi Aramco qui fut nationalisé en 1980 par l’Arabie Saoudite.

Javier Milei annonce aussi une «modernisation du droit du travail», la modification de la loi sur les sociétés pour que les clubs de football puissent se transformer en sociétés anonymes ! D’une manière générale, le chef de l’Etat argentin veut mettre en place une longue série de dérégulations dans tous les secteurs. Cette thérapie de choc peut -elle sortir l’économie Argentine de ses ornières ?

Le mot que vous employez, « thérapie », correspond parfaitement à l’Argentine ; un pays à fort potentiel mais gravement malade à cause d’un régime technocratique toxique – mélange de fascisme, étatisme et socialisme – qui a fait des dégâts catastrophiques sur sa santé économique et sociale, sur le long terme. Sa tumeur est sa dette. Son cancer est son inflation. Sa toux est sa corruption. Une cure de choc est nécessaire pour guérir de tous ces maux. Le plus dur est peut-être fait car il est difficile d’être dans un pire état après une telle agonie. Le seul traitement possible semble être une dose de cheval de liberté (son accroissement est toujours une bonne chose) pour que la population argentine puisse reprendre les commandes de son destin. A présent au pouvoir, Javier Milei, veut une dérégulation massive de l’économie, dans tous les secteurs, et abroger plus de 300 normes. La tâche s’annonce complexe mais le gouvernement Milei semble déterminé (d’où le symbole de la tronçonneuse lors de sa victoire présidentielle).

Le parti de Javier Milei, La Libertad Avanza, est ultra minoritaire à la Chambre basse et au Sénat… De ce fait , ses volontés de réforme ultra libérale vont se heurter à la réalité de la représentation nationale en Argentine.

Oui, le parti de Milei est minoritaire à la chambre des députés et au sénat (26% environ). La nationalisation de certaines entreprises comme YPF est loin d’être acquise car les deux tiers du congrès sont requis pour la valider (la majorité ne suffit plus depuis la loi de Cristina Fernández de Kirchner de 2012 sur les nationalisations). Quant à la banque centrale, nul doute qu’elle va entrer en résistance. Cependant, les intérêts sont nombreux aussi bien dans le public que le privé, et Milei semble bénéficier du soutien de puissances mondiales. Le jeu des alliances pourrait lui être favorable dans certains cas. Ces alliances seront décisives pour que le gouvernement Milei puisse mener ses réformes.

120% d’inflation, une dette colossale… la dollarisation de l’économie argentine peut-elle être positive en tant que choc de crédibilité et aussi comme un ancrage de stabilité ?

L’inflation est insoutenable. La politique péroniste d'interventionnisme maximal, notamment le « socialisme du 21ème siècle – via les quinquennats de Cristina Fernández de Kirchner et Alberto Fernández –, a détruit l’Argentine. Au cours du temps, l’Etat a augmenté les dépenses publiques plus vite que les recettes fiscales et l’inflation (en Argentine, par exemple, l’emploi public dépasse l’emploi privé dans 57% des provinces). Il s’est financé en imprimant toujours plus de pesos ce qui a engendré toujours plus d’inflation et de pauvreté (40% de la population vit actuellement sous le seuil de pauvreté). Cette folie monétaire a financé des dépenses politiques incontrôlées, l'État argentin ne pouvant plus utiliser le marché de la dette (car il a fait défaut à plusieurs reprises et n’inspire plus la confiance, en témoignent des taux d’intérêt les plus hauts au monde). Ainsi, rien que depuis 2019 et l’élection d’Albert Fernandez, le peso argentin a perdu 90% de sa valeur contre le dollar. Logique, vu l’allure en exponentielle du graphique du bilan de la banque centrale. L'irresponsabilité fiscale et monétaire a laissé la banque centrale sans réserves. Et celle-ci à dévalué le peso argentin jusqu’à sa destruction. La demande réelle de pesos est donc devenue nulle, aussi bien au niveau local que mondial, car les investisseurs et les citoyens savent que le gouvernement continuera d’imprimer de la monnaie indéfiniment.

La solution de la dédollarisation de l’économie argentine pour mettre fin à cette spirale infernale n’est, selon moi, pas une bonne idée. Supprimer la banque centrale en est une car l’impression monétaire a toujours été le problème numéro 1 en Argentine (la confier à un ordinateur augmentant la base monétaire de 3%, comme le préconisait Milton Friedman serait l’idéal). Oui, la dollarisation peut générer de la crédibilité, engendrer de la stabilité et arrêter l’inflation via l’impression monétaire. C’est une solution qu’ont appliqué des pays comme l’Equateur, le Panama et le Salvador. En revanche, dollariser l’économie pourrait casser la capacité d’exporter du pays et engendrer de la déflation. Abandonner une politique monétaire folle pour en adopter une autre, qui plus est non maitrisable, serait aussi une erreur. 
Le débat est peut-être ailleurs, car en fait, l’Argentine s’est déjà dollarisée. Les citoyens ont fui le peso (une des pires devises au monde) pour trouver refuge dans le dollar. C’est d’ailleurs une des raisons majeures pour laquelle Javier Milei a été élu. Celui-ci n’a pas mis longtemps à faire une croix (temporaire) sur cette promesse électorale de la dollarisation de l’économie. Par manque de réserves au sein de la banque centrale, le projet a été repoussé à 2025, au moins. Lors d’un des récents discours de Milei, le « il n’y a plus d’argent » résonnait comme la fameuse phrase de Thatcher, « le socialisme s’arrête quand il n’y a plus d’argent à voler ».

 

L’Argentine dispose d’énormes ressources naturelles et d’un capital humain bien formé et nombreux. Peut-on imaginer un retour à la prospérité pour ce pays ?

Au début du 20e siècle, l'Argentine était l'une des économies les plus prospères au monde. En 1945, l’Argentine avant le deuxième meilleur niveau de vie au monde. Si l’on avait dit aux argentins de l’époque dans quel état leur beau pays se retrouverait aujourd’hui, ils ne l’auraient pas cru. Sans entrer dans la caricature, l’Argentine a les mêmes caractéristiques que son football : passion, caractère et créativité. Il est un acteur agricole majeur (soja, blé, maïs) et reconnu mondialement pour son vin et sa viande de qualité. L’Argentine a aussi d’importantes réserves de pétrole et de gaz de schiste, d'or et de lithium. Ses paysages sont magnifiques. Le pays a joué un rôle clé dans le développement de l'éducation supérieure et de la recherche en Amérique latine. Le niveau d'éducation argentin y est supérieur à la moyenne régionale et sa population est jeune. Le potentiel est indéniable. Comme le dit Javier Milei : il n’est « pas là pour guider les agneaux mais pour réveiller les lions ».
Il faut toujours se méfier des promesses des politiciens mais à priori, Milei veut être le Thatcher argentin. Ce personnages farfelu a des idées intéressantes (d’autres, plus douteuses, plairont sans aucun doute au World Economic Forum…). Aujourd’hui perçu comme un « bourreau loco» aux allures d’imitateur de rockstar de bar retraité, Milei veut être reconnu dans l’histoire pour avoir remis l’Argentine sur les beaux rails du passé. Deux questions se posent. 1) Aura-t-il le temps d’appliquer ses réformes ? 2) Ira-t-il au bout de ses convictions ou trahira-t-il ses électeurs comme certains ont pu le faire en Grèce ou en Italie ? Les promesses électorales de la dollarisation et la suppression de la banque centrale sont en pause, et les proches qui lui ont permis de gagner les élections grâce à ces deux mesures ont été remerciés. En tout cas, vu de France, on peut se dire qu’il serait bien dommageable de suivre la même voie prise par l’Argentine qui semble avoir 30 ans d’avance. Certains pensent que nous y allons tout droit.

(*) analyste sénior des marchés financiers chez XTB France