Les facteurs géopolitiques pèsent - ils de façon déterminante sur l’actuel cours de l’or ?
Tout à fait, Le risque géopolitique avec le conflit au proche Orient a fait s’envoler le cours de l’or depuis plusieurs semaines. L’or a dépassé la barre des 2 00 dollars l’once à plusieurs reprises courant novembre et a maintenant franchi les 2 100 dollars, un plus haut historique. Depuis le début de l’année, la performance du métal jaune approche désormais les 12 % en euros, et l’or est revenu dans le palmarès des meilleurs actifs de l’année.
Alors que les marchés s’inquiètent des répercutions du conflit, les actifs risqués ont fortement corrigé. Le CAC40 s’est replié sensiblement récemment. L’or a, par exemple, battu les actions françaises de plus de 10% en octobre 2023, preuve que le métal jaune joue à plein son rôle de diversifiant lors des crises internationales. Sur 2023, la performance du CAC s’établit de plusieurs points en dessous de celle de l’or. À chaque crise majeure, l’indice de Risque Géopolitique (Geopolitical Risk Index) bondi. Récemment, suite au déclenchement du conflit israélo-palestinien, il a atteint un pic le 19 octobre. Depuis le début des années 2000, seuls trois évènements on atteint des niveaux plus élevés : les attentats du 11 septembre, la guerre en Irak, et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Des épisodes qui ont bouleversé certains équilibres géopolitiques.
Et les nombreuses élections à venir en 2024 (États-Unis, Grande-Bretagne, Russie, Indonésie…) vont alimenter cette dynamique.
L’inflation a l’air de se calmer un peu partout dans le monde. Est-ce à dire que l’or fin n’aura plus, à court terme, le même statut d’inébranlable valeur refuge ?
Non, le statut de valeur refuge va perdurer. Si l’or se comporte en valeur refuge par excellence dans les phases de crises géopolitiques sévères, comme celle que nous connaissons actuellement, le risque d’instabilité devrait devenir quasiment constant et l’or demeurait l’un des actifs les plus prisés. D’ailleurs, outre les impacts géopolitiques, les conditions climatiques mondiales ne devraient pas s’améliorer non plus, combinées à une inflation qui reste finalement à des niveaux élevés, au-dessus de 4% hors énergie et alimentaire dans la plupart des pays développés, les risques sont multiples et l’or n’en sera que renforcé. En revanche, si le cours de l’or et l’inflation sont étroitement liés, considérer que la relation est systématique et linéaire apparait comme un peu réducteur.
Dans un article de 2013 bien connu des spécialistes, deux chercheurs américains, Erb et Harvez, ont démontré que l’or offrait une bonne protection contre l’inflation sur le très long terme. Ils prennent l’exemple d’un centurion romain qui est l’équivalent aujourd’hui, en termes de responsabilités, d’un capitaine d’infanterie. Ce centurion, sous l’empereur Auguste, était payé peu ou prou la même chose qu’un capitaine d’infanterie américain avec 4 ans d’expérience de nos jours. L’or a donc maintenu sa valeur sur 2 000 ans malgré l’inflation (et les crises, les guerres…). Une propriété tout à fait remarquable, mais qui manque malheureusement d’implications pratiques : personne n’a un horizon d’investissement de plusieurs siècles…
Néanmoins, l’or est un bon candidat pour se diversifier et se protéger sur le long terme contre le risque d’une inflation durable et élevée génératrice de problèmes économiques.
Est-il encore temps d’acheter de l’or physique ou de se rabattre sur des actions de mines aurifères ?
Oui. L’or physique reste l’investissement décorrélé procurant le plus de diversification vis-à-vis des autres actifs. Nous pensons que le cours du métal jaune va encore progresser dans les années qui viennent et qu’il est raisonnable de rendre son patrimoine plus résilient aux crises en détenant un peu d’or. Néanmoins, avec les plus hauts actuels, les acheteurs seront peut-être avisés de fractionner leurs achats afin de lisser leur point d’entrée. Les actions de mines aurifères ont l’avantage de payer un dividende, mais aussi l’inconvénient de suivre le marché actions.
Ces sociétés aurifères sont actuellement à des valorisations plutôt élevées (les leaders du secteur ont un cours qui représente plus de 20 fois les bénéfices attendus). Enfin, la raréfaction du métal jaune (qui devient plus difficile à extraire car les gisements « faciles » s’épuisent) est pénalisante pour les minières, mais à l’inverse, il est favorable pour le cours.
Peter Schiff, patron d’Euro Pacific Capital estime que l’or pourrait doubler de valeur et le dollar s’effondrer… Partagez/vous son analyse ?
Partiellement. Avec les nouveaux records du cours de l’or, le plafond de verre s’est en effet brisé. Beaucoup d’analystes évoquent maintenant un objectif de cours à 2 500 dollars. Dans des scénarii plus compliqués, notamment géopolitiquement, on pourrait même aller bien plus haut.
Nous pensons que le prochain vecteur de crise sera la dette des états. Celle-ci atteint des niveaux difficilement soutenables (33 000 milliards aux US). Parallèlement, le billet vert, lui, perd lentement mais surement sa place de monnaie de référence. Nous pensons que la collision de ces deux phénomènes promet des turbulences monétaires et financières importantes. Dire quand cela se produira est très compliqué, mais nous sommes convaincus que l’or jouera un rôle clé dans ces bouleversements. Et ce n’est pas un hasard si les banques centrales, surtout celles des pays émergents, sont des gros acheteurs d’or : elles comptent bien se servir du métal jaune comme pilier pour traverser les turbulences à venir. Rappelons aussi que le plus gros acheteur d’or en 2023 sera la banque centrale chinoise !
Il est d’ailleurs intéressant de prendre un peu de recul à ce sujet, quelles sont les raisons de cet attrait des banques centrales pour l’or ? Plusieurs causes sont régulièrement évoquées pour justifier ces achats. L’or est donc un actif neutre, il n’est contrôlé par personne et ne peut pas faire faillite. Il s’agit donc pour ces pays d’acquérir de l’indépendance financière, et de s’affranchir du dollar qui est utilisé par Washington comme une arme de sanction.
On retrouve également la volonté d’augmenter la confiance dans l’économie et la monnaie nationale car un pays qui s’appuie sur des réserves importantes en métal jaune apparait plus solide et résilient en cas de crise. Enfin, détenir beaucoup d’or, c’est un moyen de faire sentir à sa population que le pays est riche. Il y a donc une dimension de fierté nationale, d’être parmi les nations qui comptent.
La baisse des rendements obligataires et du billet vert va t’elle se poursuivre ?
La baisse des taux en 2024 est une vue assez consensuelle qui se base sur des anticipations de ralentissement économique, voire de récession. C’est plutôt logique dans le contexte actuel, étant donné par exemple la fragilité du secteur immobilier. L’or en bénéficie : il a tendance à s’apprécier en période de taux réels bas. A plus long terme, nous ne voyons néanmoins pas comment les taux pourraient baisser significativement, étant donné qu’ils doivent rester suffisamment attractifs pour attirer des investisseurs et financer les colossaux déficits publics et stocks de dette des pays développés.
Pour le dollar, la question clé est celle des élections américaines de 2024, et notamment de l’impact des promesses de campagne. Démocrates et républicains se sont accordés pour repousser les discussions sur le plafond de la dette après les élections, mais ce thème pourrait revenir lors de la campagne. Plus généralement, tous les éléments qui questionneront la crédibilité économique et politique des Etats-Unis seront à analyser de près.
(*) President du Comptoir National de l'Or