À chaque débat et interprétation, le Premier Ministre désigné Nawaf Salam brandit la Constitution, qu'il considère comme sa référence pour la formation des gouvernements. Il l’a affirmé au palais présidentiel à Baabda: la Constitution n’interdit pas la nomination de ministres affiliés à des partis, mais elle ne l’impose pas non plus. Une nuance qui cristallise les tensions. Tandis que le président Joseph Aoun aspire à un gouvernement fort, composé de figures influentes, Salam propose un cabinet majoritairement constitué de conseillers issus des ministères ou des institutions où ils travaillent, jeunes et sans expérience politique significative.
Une nouvelle impasse freine ainsi la formation du gouvernement. À Baabda, la trilogie présidentielle devait marquer le début du mandat du président Aoun, tandis que le Premier ministre désigné cherche à affirmer sa position constitutionnelle dès les premières étapes. Tous les signes semblaient indiquer une annonce imminente : le secrétaire général du Conseil des ministres, Mahmoud Makkiyah, avait été convoqué pour divulguer les noms. Mais Salam a insisté pour nommer Lamia Mbayyed comme cinquième ministre, en désaccord avec le duo chiite. Nabih Berri a exprimé son opposition, quittant Baabda par une porte dérobée, lançant à Salam : « Forme ton gouvernement Mbayyed ».
Ce différend a déplu au président Aoun. Salam aurait pu faire preuve de souplesse pour faciliter la naissance du gouvernement, mais sa vision diffère de celle du chef de l’État. Depuis sa désignation, Salam travaille sans relâche à la composition de son équipe ministérielle, mais sans partager les détails avec Aoun. La semaine dernière, le Président lui a demandé d’accélérer le processus, fixant un délai pour la mi-semaine. Salam s’est présenté à Baabda avec ses dossiers, mais la mouture finale, comprenant des noms controversés, n’a pas satisfait le duo chiite.
La divergence est profonde : Aoun veut un gouvernement consensuel pour garantir un démarrage sans heurts de son mandat, tandis que Salam insiste sur une équipe technocratique, sans « tiers de blocage » et sans figures partisanes. Salam reste ferme sur ses positions, déclarant qu’il n’a aucune intention de renoncer. Entouré de conseillers, il est poussé à imposer un gouvernement de fait accompli, pour affirmer ses prérogatives constitutionnelles et son autorité en tant que Premier ministre.
Du côté présidentiel, on attend le gouvernement avec impatience pour officialiser le début du mandat d’Aoun, un mois après son élection. Mais sans gouvernement, le président ne peut répondre aux invitations internationales ni signer des accords majeurs. Baabda craint un piège : une équipe provocatrice, sans respect des équilibres nationaux. Aoun refuse de signer un tel gouvernement, considérant que sans sa signature, aucune formation n’est possible.
Salam n’a pas consulté Aoun sur le choix des ministres. Certains noms sont mal perçus par Baabda. Aoun, discret, fait passer ses messages, mais Salam s’appuie toujours sur la Constitution pour justifier ses choix. Certains y voient une tentative de Salam de concentrer le pouvoir entre ses mains, se plaçant comme le véritable chef politique de son gouvernement.
La présidence de la République exprime des réserves non déclarées sur cette formation. Le bras de fer pourrait se prolonger, notamment lors des discussions sur la déclaration ministérielle et les sessions du Conseil des ministres. Salam insiste sur son droit de présider les réunions sans la présence obligatoire du président de la République.
Des discussions intenses sur les prérogatives respectives des présidences sont à prévoir. Salam, soutenu par des figures comme l’ancien Premier ministre Fouad Siniora et le ministre Tarek Mitri, souhaite renforcer le rôle constitutionnel de la présidence du Conseil.
Au-delà de la simple formation du gouvernement, Salam veut affirmer son autorité en constituant une équipe qui partage sa vision et son programme ministériel. Ce programme, que Baabda espère aligné avec le discours d’investiture du président, sera l’objet de toutes les attentions, tant pour sa portée nationale qu’internationale.