Les grands pôles économiques mondiaux sont fragiles. Un point avec l’économiste et philosophe Florent Machabert . Pour des raisons différentes, les Etats-Unis, l’Allemagne et la Chine ont besoin de soutiens pour leur croissance respective. L’incertitude des facteurs géopolitiques rajoute aux difficultés.

Dans son discours annuel de Jackson Hole, le président de la Fed, Jérôme Powell, a évalué l'économie américaine post-pandémique et a laissé entendre que des baisses de taux allaient bientôt avoir lieu. Est-ce suffisant pour relancer l’économie américaine ?

Deux principaux facteurs expliquent la résilience de l’économie américaine : le premier, structurel, vient de la grande flexibilité du marché de l’emploi étatsunien, laquelle explique le très rapide retour au plein emploi après la crise Covid qui avait tout de même fait doubler le taux de chômage ; le second, conjoncturel, provient de la guerre par proxy que livre – et perd –  Washington à Moscou, via le front ukrainien : ce conflit a en effet servi de prétexte aux USA pour affaiblir considérablement le continent européen, notamment en le privant, Allemagne en tête, de ressources énergétiques russes (pétrole, gaz) bon marché. Pire : J Biden a simultanément mis en place son « Inflation Reduction Act » (IRA) qui a consisté à subventionner la délocalisation sur le sol américain des fleurons de l’industrie européenne, tout en dopant sa fourniture à l’Europe de sa propre énergie (GNL en tête, dont les USA exportent désormais 60% vers l’UE). Et c’est sans parler du « complexe militaro-industriel » US (Lockheed Martin, RTX, Northrop, etc.) qui fait évidemment, aussi, ses choux gras de la situation. Dans ce contexte, que la FED commence à « reflater » n’est pas une décision très structurante : Powell cherche seulement à réduire l’écart avec le taux directeur européen que la BCE a abaissé une première fois en juin dernier, pour soutenir un dollar qui fléchit face à l’euro. Mais, là encore, les USA croulent sous 35 000 Mds $ de dette publique, qui plus est dans un contexte où les candidats à la dédollarisation, BRICS+ en tête, sont chaque année un peu plus nombreuxet déterminés… 

L’Allemagne demeure arrimée au dispositif constitutionnel qui limite le déficit structurel annuel à 0,35% du PIB. Ce dispositif, incriminé par beaucoup d’économistes, étouffe-t-il la croissance allemande ?

Ce n’est pas parce qu’il a été question récemment de renoncer au fameux « frein à l’endettement » allemand que cette mesure est mauvaise ! Au contraire : cette quasi « règle d’or » budgétaire explique, combinée aux réformes Hartz (cependant que Mme Aubry, elle, nous concoctait les « 35 h »…), que l’Allemagne soit parvenue à maintenir un excédent jumeau, tant de sa balance commerciale (bien aidée par l’euro, certes, taillé pour elle) que de son solde budgétaire ! G Attal, de son côté, souvenez-vous, a proposé pendant les législatives sa règle d’or bien à lui : interdiction d’augmenter les impôts ! C’était démagogique et absurde, le but étant de noyer le poisson en évitant le seul sujet qui vaille : la baisse de la dépense publique. Voter un budget à l’équilibre, comme avant 1974, est à nouveau un préalable pour sortir de la trappe à dette qui se referme sur nous, c’est-à-dire pour avoir un taux de croissance annuel du PIB supérieur au taux auquel la France s’endette. C’est simple, non ? Mais peu électoraliste. 

Le chômage des jeunes en Chine bat des records. Le modèle économique chinois est-il à bout de souffle ?

La Chine est confucéenne : le temps long lui importe plus que les trous d’air conjoncturels. Il est vrai cependant que l’évolution au ralenti de la consommation chinoise combinée, d’une part, à la « démolition contrôlée » par le PCC d’une partie de la bulle immobilière, pour assainir le secteur, et d’autre part à des problèmes croissants d’appariement sur le marché du travail entre des jeunes surdiplômés et des emplois basiques, a fait exploser à plus de 14% le taux de chômage des jeunes chinois. Mais au-delà de ces facteurs, la Chine a un problème plus profond : géniale dans la phase « ricardienne » de son décollage où croître était synonyme de construire des infrastructures de tout type, elle est à présent au pied du mur et rencontre des difficultés importantes dans la phase « schumpétérienne » de son développement, où il lui faut créer, inventer, découvrir, innover, toutes missions où le monde indo-océanique pourrait bien, en effet, lui damer le pion.