Partout dans le monde , en Europe, en Asie, les investissements des Gafam dans l’Intelligence Artificielle sont conséquents. Dernièrement , par exemple en France, Microsoft annonce 4 milliards d’euros d’investissements sur plusieurs années. Comment jugez-vous ces « investissements massue » ?

Il est à la fois remarquable et préoccupant de constater la disparité entre les investissements de la France et les capacités financières déployées par un géant du numérique tel que Microsoft. En effet, lorsqu'une entreprise comme Microsoft injecte 4 milliards d'euros dans le marché français, il est légitime de craindre l'émergence d'une dépendance vis-à-vis du géant américain. Les moyens déployés par Microsoft pour s'implanter en France sont impressionnants, et laissent présager une position dominante sur le marché. »

Quel sera, selon vous, l'impact économique de l'IA ?

L'IA est une source d'augmentation de l'efficacité opérationnelle des collaborateurs et contribue ainsi à une réduction structurelle du coût du travail. C'est donc un atout économique majeur tant pour une entreprise que pour un pays dans son ensemble. Son introduction permettra une amélioration progressive de la compétitivité des acteurs économiques interconnectés ou des intégrateurs. L'IA se positionnera donc comme un axe fort de différentiation sur des marchés hautement concurrentiels. De manière indirecte, l'IA contribuera à la réindustrialisation. Tout d'abord, en raison de son impact sur le coût du travail, mais aussi parce qu'elle représente une filière entière que nous devons mettre en place, allant de la centrale nucléaire pour l'énergie décarbonée et pratiquement infinie, aux processeurs que nous n'avons pas actuellement, jusqu'aux produits finis comme nous l'avons vu avec Mistral.ai ou le modèle juridique de Dalloz.

Quels sont les exemples d'intégration réussie de l'IA dans l'industrie ? Mais quels sont ces échecs également ?

Récemment, un article a été publié indiquant que L'Oréal et Pernod Ricard étaient classés au niveau mondial pour leurs réalisations en matière d'IA... On peut entrer dans les détails.Il n'y a pas eu de catastrophe industrielle, au contraire. L'utilisation et le déploiement industriel ont toujours été bénéfiques lorsqu'ils ont été adoptés par les métiers. Les échecs sont normaux avec une technologie issue de l'innovation. On apprend par « test and learn », dans lequel il y a des échecs, mais sans conséquences majeures si l'on reste méthodique.

Dans « Stratégies », vous dites que « Réguler l'IA est dangereux », comme si l'opposé d'une mauvaise régulation était l'absence de régulation - et non pas une bonne régulation. Quelles sont les hypothèses que vous faites en matière de compétition géostratégique et de risques intrinsèques à l'IA pour arriver à cette conclusion ?

Réguler a priori l'IA est dangereux pour l'industrie. Une régulation qui pénalise de 7% du chiffre d'affaires une entreprise tend à niveler tout par le bas pour ne pas prendre le risque de devoir payer une telle amende. L'innovation, c'est tout le contraire, c'est prendre des risques, repousser les limites, jouer avec les limites. Nous voyons déjà de grands groupes demander à leurs équipes de ne surtout pas les mettre en danger et donc de niveler par le bas de facto. Nous avons la chance en Europe de vivre dans des démocraties. La CNIL existe depuis plus de 40 ans et régule parfaitement notre environnement des systèmes d'information. Elle peut, ainsi que le citoyen lambda, faire appel au législateur pour modifier la loi et nous prémunit d'un usage perverti.

D'un point de vue géopolitique, c'est une catastrophe industrielle. Les Chinois n'ont aucune régulation autre que celle du Parti Communiste Chinois, ils vont donc pouvoir se permettre beaucoup de choses, voire aller trop loin comme ils l'ont fait avec la notation sociale. Nul doute qu'ils arriveront sur le marché avec des produits et des solutions très innovantes basées sur l'IA. Concernant les États-Unis, comme à leur habitude, ils se sont autorégulés. Biden a pris la parole en disant qu'il avait eu l'assurance de tous les acteurs de l'IA américain qu'ils allaient bien se comporter. Et voilà, la régulation américaine était faite. En revanche, les Américains en ont profité pour se prémunir des risques de cybersécurité liés à l'IA, une vision beaucoup plus constructive. Ces deux exemples montrent qu'une régulation a priori sur un atout économique aussi important va durablement plomber les entreprises et les industries européennes en sapant notre compétitivité à la racine.

En matière d’IA générative, selon un rapport d’experts, la France devra investir au moins 5 milliards par an jusqu’en 2030 pour ne pas décrocher. Mais pour vous, l'IA générative représente-t-elle une discontinuité, une transition de phase, par rapport aux techniques sur lesquelles vous travailliez auparavant ? A-t-elle transformé votre business ?

Non, l'IA générative est une évolution, mais ce qui change, ce sont les ordres de grandeur : plus de paramètres, plus d'entraînement et donc de meilleurs résultats. Une évolution liée à la puissance de calcul et à l'évolution des modèles mathématiques. La révolution, c'est l'usage. Du jour au lendemain, tout le monde a utilisé l'IA....

Selon vous, jusqu'où doit-on « intégrer l'IA » en entreprise ? Toutes les tâches sont-elles automatisables ? Toutes les décisions peuvent-elles être déléguées à une IA ?

Ce sont les métiers qui décident de déléguer ou non à une IA. Il faut que le taux d'erreur soit compatible avec le métier, sinon il ne le fait pas car il engage sa responsabilité. En général, l'IA vient donner une recommandation que l'humain utilise ou non. Par exemple, chez Pernod Ricard, la recommandation à un commercial est utilisée à 90%. Il faut aller le plus loin possible car, en face, vont arriver de nouveaux entrants « AI by Design » où tout sera basé sur l'IA. Il faudra alors rester compétitif.

(*) CEO d'AI Builders , cabinet de conseil indépendant spécialisé dans la transformation Data IA des entreprises.

Quid de l’Intelligence artificielle ? 
L’IA est un ensemble de théories et de techniques pour créer des machines capables de stimuler l’intelligence humaine .
Le travail fondamental est à base de mathématiques mais aussi de sciences dites cognitives. D’autres disciplines sont sollicitées par l'IA : la neurobiologie, l’algèbre linéaire ou les statistiques. Au delà de l’approche technique de l’IA, son aspect éthique est au cœur même de son développement.
À noter que la nouvelle forme d’IA, dite générative, permet de générer du texte, des images ou d'autres médias en réponse à des sollicitations (invités). Son développement leplus célèbre est ChatGPT d’OpenAI. La polémique autour de la voix de l’actrice Scarlett Johansson restituée par son outil vocal « Sky » démontre la fascinante et inquiétante progression de la voix numérique.