L’expert Mathieu Berrurier (*) analyse leurs impacts des risques de transport maritime sur les primes d’assurance, l’inflation ou la croissance mondiale.

Depuis le début de la guérilla Houthie en mer Rouge , le trafic par le canal de Suez a ralenti . Comment ce sont comportées les primes d’assurance des Super tankers ou des pétroliers ?

Le conflit en Mer Rouge et dans le Golfe d’Aden est suivi de très près par les assureurs spécialisés en Risques de Guerre, comme le sont toutes les zones du globe qui sont en conflit, qu’il s’agisse de conflits armés ou de zones politiquement sensibles ou instables. Au-delà du premier réflexe qui consiste à s’émouvoir des montants de surprimes risques de guerre qui sont facturées, il est intéressant de s’arrêter sur le rôle essentiel que jouent les assureurs dans l’évaluation des risques pendant ces périodes de conflits armés. En effet, les informations dont ils disposent pendant ces crises, et l’expérience qu’ils ont acquise au travers des conflits armés des 30 dernières années, leur donnent une perception très fine de la nature et de l’intensité de ces conflits.

Mieux que quiconque, les assureurs « RG » ont la capacité d’analyser la gravité d’une situation de crise géopolitique et d’en percevoir la portée. Pour répondre à votre question ; avec plus de 20 000 navires qui traversent le canal de Suez chaque année (entre 15 et 20 % du trafic mondial), la guérilla Houtie en Mer Rouge et dans le Golfe d’Aden a profondément perturbé le trafic dans cette zone de passages intenses entre l’Asie et l’Europe. Très rapidement, les médias ont relayé les tirs Houtis au large du Yemen, sur plusieurs portes conteneurs susceptibles de transporter des marchandises pour l’Etat israélien. Très rapidement aussi, les assureurs ont répercuté l’aggravation des risques qu’ils avaient finement analysée en augmentant les primes de tous les navires passant dans la « zone de guerre » qu’ils avaient délimitée.

Ainsi, pétroliers, super tankers, porte-conteneurs ou autres navires, tous sont soumis aux mêmes surprimes, les assureurs n’étant pas en mesure à ce jour de distinguer en fonction des types de navires. En revanche, les assureurs risques de guerre distinguent clairement suivant qu’il s’agit de navires ou de marchandises transportées.  Les cargaisons qui font également l’objet de surprimes « risques de guerre » importantes pendant les conflits du type de celui observé depuis quelques semaines entre le canal de Suez et le détroit de Bab al Mandad. Mais nous y reviendront peut-être.


Mathieu Berrurier Directeur général d’Eyssautier-Verlingue et Président de l’Union des Courtiers d’Assurance Maritime et Transports (UCAMAT).

Un autre conflit , celui en Ukraine, rend la mer Noire moins sûre . Là aussi comment les assureurs ont-ils évalué les risques ?

Que l’on parle de piraterie maritime, de risques de guerre ou de risques politiques, aucun conflit ne ressemble à un autre. Les pirates somaliens détournaient les navires dans l’océan Indien et demandaient des rançons pour libérer l’équipage, alors que les pirates du golfe de Guinée, plus violents et très actifs en ce moment, pillent et volent les navires et les équipages qu’ils attaquent. De même, le conflit en Ukraine a fait de la Mer Noire une zone de guerre évaluée pas les assureurs comme une zone « à hauts risques », très dangereuse pour la navigation, et fortement supprimée, là où la Mer Rouge est actuellement considérée par les assureurs comme une zone de moindre gravité. Je m’explique.

 La Mer Noire est une mer fermée et les navires entrent pour charger ou décharger dans des ports. Il s’agit d’un risque de destination, et la puissance militaire ennemie n’est autre que la Russie.

La Mer Rouge est une zone de passage, où les navires naviguent au large, sans s’arrêter. Il s’agit d’un risque de transit, les forces ennemies étant ici des rebelles yéménites, dont l’armement reste relativement « limité ».

Rien d’anormal donc à ce que l’évaluation des risques par les assureurs soit sans commune mesure entre la Mer Noire et la Mer Rouge, même si les surprimes facturées pour les navires transitant par la Mer Rouge peuvent déjà être de 10 à 20 fois supérieures aux primes RG de base. (primes très modérées). Dans la graduation des risques que nos assureurs sont en mesure d’évaluer, des Zones comme la Mer Noire font l’objet d’une obligation de déclaration préalable imposée à chaque navire qui projette d’y naviguer, et de ressortie de surprimes pouvant aller jusqu’à 100 fois la prime de base à l’année !

 

Ces surcoûts pour les armateurs peuvent-ils avoir un impact sur le prix des marchandises et relancer l’inflation ?

Oui, c’est une évidence, ces surcouts ont un impact sur le prix des marchandises et sur le consommateur final, même si les origines de ces surcouts sont diverses. Dans un conflit comme celui de la Mer Rouge et de l’Océan indien, à l’augmentation « modérée » des primes risques de guerre des navires qui traversent cette zone à risques, l’armateur doit par exemple ajouter les primes de risques payées aux équipages qui passent au large des côtes yéménites.

De même, pour les armateurs qui ont fait le choix de ne pas exposer leurs équipages en évitant le passage du Canal de Suez, le contournement du continent africain par le Cap de Bonne Espérance, induit aussi des surcouts importants.

En effet, le coût des marchandises est ici fortement impacté par une quinzaine de jours de mer en plus, induisant un surcout de transport important, de salaires des équipages, sans parler des retards qui vont en découler. L’armateur doit alors arbitrer entre gestion des risques et gestion des coûts. Mais, dans tous les cas, le surcoût sera répercuté sur l’ensemble des acteurs de la chaine de transport (armateurs, affréteurs, chargeurs, intermédiaires etc…)

Finalement, l’impact direct sur le prix des marchandises est pour l’instant limité, les consommateurs ne seront que peu impactés et les effets constatés à ce jour ne peuvent être à l’origine d’une « relance de l’inflation ».


Quels types d’industries sont handicapées par l’allongement des délais d’acheminement maritime ?

On a beaucoup parlé à l’occasion de ce conflit Hutis en Mer Rouge du contournement par le sud de l’Afrique. S’il ne concerne pour le moment pas tant de navires que cela, il touche en revanche la quasi-totalité du transport conteneurisé.

L’arrêt des usines Tesla pour cause de rupture de sa chaine d’approvisionnement de pièces en provenance d’Asie, a souvent été citée, et je vous confirme que de nombreuses autres industries ont été et seront impactées par l’allongement des délais d’acheminement maritime.

Il faut bien comprendre qu’au-delà de l’allongement d’une quinzaine de jours des transports maritimes passant par le Cap de Bonne Esperance, s’ajoute la totale désorganisation des flux de marchandises déchargées dans les ports de destination et donc ensuite redistribuées avec des retards amplifiés.

Ce sont donc bien toutes les industries concernées par les trafics menacés par ce nouveau conflit qui sont déjà touchées et, si le conflit devait se prolonger et/ou s’aggraver, des conséquences plus lourdes seraient observées et viendraient alors immanquablement générer de l’inflation.


L’élection présidentielle à Taïwan a vu l’élection d’un pro indépendantiste. Pékin revendique toujours cette île, grande productrice de semi-conducteurs. Les assureurs ont-ils déjà revu en hausse les primes pour le transport maritime ?

Non, pas encore à ce jour, même si les assureurs sont en veille et suivent l’évolution de la situation comme « le lait sur le feu ». Dans une échelle de graduation des risques soigneusement mise en place par les assureurs risques de guerre, la Mer de Chine et les zones de navigation autour de l’ile de Taiwan, ne sont pas à ce jour supprimées. Les assureurs laissent les navires marchands y naviguer librement, jusqu’à ce qu’un incident survienne, et les amène à revoir la situation du jour au lendemain. Dans ce cas de figure, et suivant un système qui s’applique à tous les contrats risques de guerre assurant des navires ou des marchandises, la dégradation soudaine des risques dans une zone de conflit peut amener les assureurs à suspendre leur garantie à chaque instant, en respectant quand même un préavis fixé à l’avance par les parties. (entre 24 heures et 7 jours). Lorsqu’une telle situation survient, tous les voyages commencés restent couverts contre les risques de guerre jusqu’à leur destination finale. En revanche, tout nouveau voyage devra faire l’objet d’une déclaration préalable aux assureurs, qui auront alors le choix ; soit de refuser leur garantie ; soit de l’accorder ponctuellement moyennant une surprime à déterminer. Suivant les assureurs et suivant les marchés, c’est bien ce cas de figure qui est actuellement en vigueur pour les voyages transitant par la Mer Rouge et le Golfe d’Aden.

Dès que les assureurs estiment que la situation géopolitique de la zone «surprimée » revient à la normale, le contrat risques de guerre annuel de base s’applique à nouveau. Entre les deux, sans parler de surprimes risques de guerre élevées, nos assureurs pourront décider de maintenir une tarification majorée dans les zones où ils considèrent que l’aléa de survenance d’un sinistre lié reste élevé. C’est le cas par exemple pour la navigation dans le golfe Persique.

 

Globalement, la multiplication des conflits régionaux ne devient-elle pas un facteur structurel d’inflation par l’augmentation des coûts de production liés à l’augmentation des assurances ?

Oui, vous avez tout à fait raison, mais je précise que l’augmentation des assurances n’est qu’un facteur structurel parmi tant d’autres susceptible de justifier l’augmentation des coûts et donc la relance de l’inflation. Ce qui me semble en revanche évident, c’est que la multiplication des conflits régionaux que vous évoquez conduit à une désorganisation totale des flux de marchandises transportés dans le monde. Avec plus de 80 % des marchandises transportées par la voie maritime, la multiplication de ces zones de conflits a un impact fort et direct sur l’organisation de la « Supply Chain » de l’ensemble des acteurs économiques mondiaux. Détournements, congestions portuaires, retards de livraisons, ruptures d’approvisionnements entrainant des ruptures de production…, tout ce que nous avons vécu pendant et après la crise sanitaire de la COVID vont potentiellement devenir des crises structurelles et récurrentes à mesure que les tensions géopolitiques mondiales vont s’amplifier.

(*)Directeur général d’Eyssautier-Verlingue et Président de l’Union des Courtiers d’Assurance Maritime et Transports (UCAMAT).