« Des prix, pas des primes » exhorte Veronique Le Floch, Présidente de la Coordination rurale en France
Qu’avez-vous pensé des mesures annoncées par Gabriel Attal et des 400 millions mis sur la table pour l’agriculture française, par le gouvernement ?
Pour nous, à la Coordination Rurale, les mesures de Gabriel Attal n’apportent aucune solution structurelle et durable. Quelques revendications historiques de la CR ont été reprises : la simplification administrative sur les projets d’irrigation, le décret à venir sur les curages ou encore la fin des objectifs de réduction de 50 % de produits phytosanitaires figurant dans le Green Deal. Notre demande d’abandon de la taxe GNR (hausse validée en septembre 2023 par la FNSEA pour évoluer vers des bio-carburants...bizarrement, c'est un des secteurs du Groupe AVRIL dont le Président n'est autre que le Président de la FNSEA et dont le résultat net consolidé a été multiplié par 13 en 4 ans ! ) a aussi été entendue. La révolte du terrain a aussi permis d'annoncer l'accélération de versement des différentes sommes prévues, voire dues (bio, Maladie Hémorragique, tempête, viticulture). Gabriel Attal n’a néanmoins pas évoqué les dossiers de Grippe aviaire encore en attente de paiement depuis plus d’un an pour certains, qui du coup payent des prêts relais auprès de leurs banques.
Il y a aussi les aides fiscales pour l’élevage !
Les 150 millions sous forme d’aides fiscales pour l’élevage sont quant à eux dérisoires au regard du nombre d’exploitations, équivalents à 2 K€ / exploitation ! Ces budgets annoncés ne s’inscrivent en rien dans l’ADN de notre syndicat : Des prix, pas des primes ! Nos demandes d’une année blanche et de Prêt Garanti par l’Etat (PGE) pour redonner immédiatement de la trésorerie en exploitation n’ont visiblement pas été retenues. Concernant les dispositions fiscales pour les transmissions d’entreprises, la CR les attendait mais doit les étudier. Les 2 milliards d’euros fléchés pour l’installation/ transmission le sont certainement sous forme de garantie ; un « remake » du Grand Plan d’Investissement (GPI) de 2017 qui avait très peu été utilisé par les banques ! Et ça ne résout en rien le problème d’attractivité du métier. A chaque crise agricole, le gouvernement met des millions d’euros sur la table. … Or, force est de constater qu’il s’agit de soins palliatifs puisque la désagriculturation s’accélère et avec la perte de souveraineté alimentaire. Avec l’Europe, la balance commerciale agricole-agroalimentaire est passée de +2.5 Milliards d’€ en 2014 à -2.5 Md d’€ en 2023 ! Par ailleurs, la CR estime que pour avoir des prix dans nos exploitations, il faut se tourner vers l’agro-industrie en imposant, entre autres, une obligation de transparence sur ses valorisations à l’export, notamment vers ses filiales propres. Cet éclairage permettra d’identifier, et sanctionner le cas échéant, toute délocalisation de résultats à des fins fiscales et de prix bas aux producteurs. De la même manière, une loi doit aussi imposer aux coopératives,structurées en holdings, que la valeur revienne effectivement, durablement et équitablement aux coopérateurs.
Et les annonces sur la loi Egalim ?
Concernant cette fameuse loi, dont l'application peut au mieux couvrir le tiers des produits agricoles que l'on retrouve dans les GMS, nous attendons de voir si la 1ère étape définissant les prix entre les agriculteurs et les industriels, basés sur des coûts de production suffisants pour les récents installés et investisseurs, sera enfin mieux contrôlée et respectée. La transparence doit en plus être actée au niveau des débouchés vers la restauration collective mais aussi vers les autres débouchés industriels non-alimentaires, très souvent à haute valorisation, comme la cosmétique par exemple. Concernant la simplification, la CR retient surtout l’engagement de lutter contre la surtransposition des normes européennes qui, pour l’environnement, concerne essentiellement la Politique Agricole Commune (PAC). Nous déplorons ainsi qu’une révision immédiate de la PAC, sans attendre 2027, ait totalement été éludée. Enfin, l’Exception Agricole, évoquée par Gabriel Attal, ne s’avère qu’un effet d’annonce de plus puisqu’elle n’est pas déclinée en mesures concrètes. L’Exception Agriculturelle, comme défendue par la Coordination Rurale depuis 1994, vise au contraire à soustraire les produits agricoles des accords de l’OMC et de libre-échange !
Le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau a annoncé l’arrêt du plan visant à réduire l’usage des pesticides en France. Que cela signifie t’il pour vos exploitations agricoles ?
Cette annonce, dont on ne sait pas combien de temps elle tiendra, vu la réaction du Ministre de la Transition Ecologique M Béchu, est accueillie avec beaucoup de précaution. D’un point de vue pratique, c’est encore flou. Suite à la disparition d’un produit de traitement, certaines productions, comme les semences de trèfle par exemple, ont disparu en France. La question est donc plus large. Est-on prêt à refaire des cultures qui ont disparu, ne serait-ce que pour notre souveraineté avant de parler exportation ? Le lobbying écologiste est fort mais aussi la place occupée par les vendeurs de semences et ceux de produits phytopharmaceutiques ! Les 3 mêmes sociétés qui contrôlent 60 % du marché des semences contrôlent aussi 71.2 % du marché des soins des plantes ! Les agriculteurs demeurent impuissants face à ces forces !
La Fnsea se satisfait de ces mesures. La levée des barrages a été presque immédiate. S’agit il d’une victoire du gouvernement avec l’appui de ce syndicat ? N’y a-t-il pas une certaine amertume chez la coordination rurale que vous présidez ?
Nous sommes partagés entre sentiment d’espoir et d’amertume. Espoir, car nos adhérents et sympathisants, en montrant leur détermination et leur capacité à atteindre leurs objectifs, à l’image de leur entrée sur le marché de Rungis, nous ont prouvé que la Coordination Rurale pouvait ouvrir la voie d’une nouvelle politique agricole. Espoir, car la mobilisation de ces dernières semaines nous a enfin permis de mettre en lumière les solutions de bon sens que nous portons, contre vents et marées, depuis des décennies. Amertume à l’égard du gouvernement et de ce qui peut être perçu comme de la co-gestion: au regard du nombre de rendez-vous accordés à la FNSEA/JA par les politiques, force est de constater que seule leur pensée unique a été prise en compte. Nous déplorons vivement que notre proposition d’intersyndicale ait été refusée alors que, pourtant, de nombreux adhérents et sympathisants CR, ainsi que de nombreux asyndiqués, manifestaient. Eux aussi ont le droit de se faire entendre ! Amertume, car les mesures retenues ne sont pas à la hauteur de l’ambition de notre syndicat pour les producteurs que nous défendons. Etant composé de 100 % d’agriculteurs indépendants de l’agrobusiness, nous regrettons qu’aucune solution concrète n’ait été actée pour un partage équitable de la plus-value entre l’agro-industrie, la grande distribution et nos exploitations. La politique du « en-même temps » de la FNSEA, défendant à la fois l’agro-industrie et les agriculteurs n’est plus tenable. Le chaos actuel prouve qu’elle a échoué à défendre le maillon producteur. Elle n’a pas joué son rôle de contre-pouvoir face à ceux qui captent nos revenus ! Avoir fait croire qu’elle pouvait défendre en même temps nous, les agriculteurs, et l’agro-industrie, maître de notre facturation, était une hypocrisie qui coûte cher aux français aujourd’hui. La FNSEA ne joue plus son rôle de contre-pouvoir face à ceux qui captent notre revenu.
La question des traités commerciaux sous la houlette de Bruxelles n’est pas réglée. Est-ce à dire que l’agriculture française va continuer de subir les assauts de productions étrangères sans véritable contrôle des normes ?
Evidemment que l’agriculture française va continuer de subir ces assauts puisqu’aucune décision forte n’a été actée pour les contrer ! Seule l’Exception Agriculturelle, en France et au-delà, constitue une solution efficace aux soubresauts géopolitiques, sanitaires et climatiques qui mettent en danger notre alimentation. Nous sommes conscients qu’un protectionnisme total n’est pas possible mais l’Exception Culturelle existe bien pour la culture, il la faut pour notre alimentation ! Concernant le Mercosur, le suspendre ce n’est pas l’annuler ! D’ailleurs le plan de développement de l'agriculture 2018-2028 validé sous Bolsonaro prévoit une augmentation des principales productions animales (bovin, volaille,..) de près de 30%. Alors, difficile de croire que tout n’est pas déjà acté ! Même avec des clauses miroirs réellement appliquées et contrôlées, ça ne règlera en rien les conséquences négatives des accords déjà en place, surtout lorsque les productions importées viennent concurrencer les nôtres. De fait, on importe une baisse des prix qui nous pénalise et nous élimine les uns après les autres !
Comment se présentent les futures élections aux chambres d’agriculture, programmées l’année prochaine, pour votre syndicat ?
Les élections sont proches et loin à la fois… La frénésie des dernières manifestations semble avoir motivé certains agriculteurs à défendre leurs intérêts de manière déterminée. S’ils veulent que la dynamique continue, chacun devra continuer d’œuvrer autant qu’il peut à son niveau, "tous unis" comme le précise un des slogans de la Coordination Rurale. Malheureusement, la crise démocratique française se ressent aussi au niveau des élections professionnelles. Il faut espérer que ces manifestations collectives insuffleront aux agriculteurs une dynamique citoyenne. On verra…Depuis 1992, nous avons inlassablement alerté que la politique de co-gestion FNSEA/politiques nous menait dans le mur. Aujourd’hui, nous y sommes au pied ! Nous ne pourrons le franchir qu’avec un sursaut démocratique des agriculteurs en janvier 2025 et une réelle volonté de vouloir soutenir un changement radical. Le jour venu, ce sera à chacun d’eux, non seulement de faire l’effort de voter, mais de faire le bon choix : la continuité ou l’alternance après 50 ans de FNSEA au pouvoir…