Après le discours « à la nation » et la conférence de presse du Président de la République, quels sont les grands enseignements pour la fin de mandat d’Emmanuel Macron ?

Beaucoup d’annonces économiques d’Emmanuel Macron , lors de sa conférence de presse étaient connues … Que retenez-vous ? La baisse des impôts ? La rémunération au mérite des fonctionnaires ?

Le Président a donné comme exergue à cet exercice de style, hybride entre le discours de politique générale classiquement réservé à Matignon et la conférence de presse présidentielle de naguère, le thème du « réarmement ». Dès lors, cette sémantique guerrière devait aussi se déployer dans le champ économique, car les révolutions en la matière promises en 2017 n’ont pas jusqu’à présent transcendé l’échec économique français, si l’on songe aux récriminations des français sur le pouvoir d’achat, la fiscalité, ou les déséquilibres sur la dette et le chômage. En politique économique comme en chimie, rien ne se perd et tout se transforme, et Emmanuel Macron a souvent rappelé aux Français des projets en cours ou déjà annoncés. C’est le cas des 2 milliards de baisse d’impôts ciblant les classes moyennes, renvoyés en 2025. Je crois cependant que les annonces les plus importantes étaient ailleurs. Elles portent sur le sujet de la simplification et de ce qui est intrinsèquement l’Acte 2 d’une loi sur la croissance, ou un prolégomène d’une loi Macron II ou poursuite de la loi Pacte. « Il y a encore trop de complexité qui décourage les entrepreneurs, les industriels, les commerçants, les agriculteurs, les artisans. (…) Et nous ne pouvons plus nous le permettre. C’est pourquoi je demande au gouvernement de supprimer des normes, réduire des délais, faciliter encore les embauches, augmenter tous les seuils de déclenchement d’obligations », a déclaré le président de la République, en demandant « un acte II d’une loi pour la croissance, l’activité, les opportunités économiques ». En tant qu’économiste, je suis convaincu de la pertinence d’une telle approche : le choc de simplification entrepris par Trump en 2017 aux Etats Unis tout autant que les récentes coupes drastiques de Milei en Argentine ont révélé des gisements de croissance importants. En tant qu’entrepreneur, je souhaite aussi une simplification des procédures qui accaparent notre temps et détruisent nos initiatives de chef d’entreprise. Le Président avait mis en place dès Novembre un comité de chefs d’entreprises pour faire le point sur ces entraves à la croissance. Mais il a paru lors de son intervention évacuer tout big bang des normes, en disant partir plutôt de ces cas concrets sur le terrain, afin d’éradiquer « la France des tracas ». J’avais travaillé en profondeur cette thématique lors de la campagne de 2022 pour des candidats à droite ( j’appartiens politiquement à la famille des Républicains) : si une approche de terrain, « bottom up », est efficace pour faire remonter les cas concrets à traiter, il serait illusoire de vouloir les résoudre un par un. L’intrication des normes est telle que le Président va se heurter au mur de l’entrelac des régulations. Je préconise, à l’instar de Gaspard Koenig dans son livre « Simplifions nous la vie ! », de partir au contraire des grands principes du droit, et de les élaguer afin d’avoir un effet multiplicateur sur les normes : travailler sur un périmètre plus circonscrit du principe de précaution, généraliser le principe de subsidiarité, imposer un principe d’innovation ou de droit à des délais raisonnables. Par capillarité, ces changements essaimeront dans tous les domaines : industrie, immobilier, tech, réforme administrative. Si cette réforme est réussie, c’est 2 points de croissance en plus sur les 3 dernières années du quinquennat. Un dernier point fondamental : le sujet, interministériel et technique, nécessite pour son lancement une ou un Madame/Monsieur Simplification.

La question démographique a été abordée par le Chef de l’Etat.  C’est à la fois une question civilisationnelle et économique ! Les enjeux sont ici colossaux ! Quel est votre point de vue ?

« Un problème politique est un problème économique sans solution » disait l’économiste français Georges Elgozy. Si la natalité est devenue un sujet politique qu’Emmanuel Macron , qui vient de la Gauche, s’est senti obligé de traiter après six années, c’est aussi parce que c’est un sujet d’abord économique. Dans les théories de la croissance, les économistes expliquent la croissance économique des nations par les facteurs capital, travail et l’innovation (le résidu de Solow, assez mystérieux et pas toujours quantifiable). La croissance démographique, comme l’ ont montré les épisodes d’exodes ruraux ou encore l’essor de la Chine, a pu etre historiquement un sous-jacent important de la croissance. Même un pays comme les USA par exemple profite encore du dynamisme démographique de pans entiers de sa population, et pas uniquement chez les derniers arrivants. En France, le problème d’une natalité en berne est aggravée par deux sujets. Le premier est celui de l’Etat Providence, reposant sur des transferts générationnels généreux. Il suppose, à l’instar du système des retraites, un remplacement générationnel à parité, faute de quoi ses équilibres financiers s’écroulent. On voit bien que nos multiples réformes des retraites, souvent transitoires, tentent de compenser cet écart démographique croissant entre générations… Le second sujet est celui de l’alternative traditionnellement proposée par certains économistes, celle du recours à l’immigration. Or, au-delà du sujet politique du refus des Français de la poursuite d’une immigration de masse (évidence qui a fini nolens volens par s’imposer au Président), j’ai dans les colonnes mêmes de Valeurs Actuelles montré que l’immigration récente en France avait aggravé l’équation financière du pays, du fait du taux d’emploi trop faible de nos immigrés. L’enjeu de la démographie est donc colossal sur le court terme pour restructurer l’Etat Providence et rééquilibrer nos agrégats économiques (retraites, déficits, …). Cependant, je pointerais deux risques : le premier est d’ordre financier, car l’état de nos finances publiques rend périlleux une relance de la natalité à base d’aides et d’assistanat. Deuxièmement, les études économiques récentes montrent que nos économies développées changent et ne seront plus demain si dépendantes de la démographie. Le développement de l’intelligence artificielle et l’extension de la durée de vie vont radicalement transformer le monde du travail et les sources de la puissance économique, en minorant le rôle de la démographie. L’histoire économique sur le long terme tend aussi à infirmer cette corrélation entre démographie et croissance économique, et le XIXème siècle par exemple, plus dynamique démographiquement que le vingtième, ne correspond pas au même canevas de prospérité.

Emmanuel Macron s’accroche à son objectif de plein emploi … ? Est-ce possible ?

Le concept même de plein emploi parait à géométrie variable selon les économistes et les pays, ce qui fait qu’Emmanuel Macron ne prends pas vraiment son risque sur cet objectif. Dans les pays anglo saxons, le plein emploi c’est un chômage à 4%. Il y a quelques années, certains économistes français comme Patrick Artus prétendaient que compte tenu des caractéristiques structurelles de notre économie, en France le plein emploi signifiait un chômage à 7%...Dans les propos initiaux de Mme Borne, j’avais cru comprendre que l’objectif était à 5%. Et à cet égard, non, à l’heure actuelle, cet objectif parait lointain. Après une très lente décrue de deux points en  huit ans, le chômage est récemment remonté. Anesthésié pendant deux ans par les aides et le quoi qu’il en coute, il reprend inexorablement une lente remontée du fait du ralentissement de la croissance. En 2023, la France a enregistré une croissance probablement de 0,9% avec un trimestre négatif et un autre à zéro. En 2024, les prévisions officielles, récemment dégradées, prévoient aussi que nous allons être en dessous de 1% ; Je n’exclue pas une récession intra-annuelle, comme en atteste la dégradation de nombreux indicateurs, comme les indicateurs PMIs, et une croissance finale de l’ordre de 0,5% (c’est aussi la nouvelle prévision Rexecode). Avec une telle croissance, on ne crée pas d’emplois. Resteront ensuite deux ans et demi pour inverser la tendance, et alors que le chômage sera stabilisé probablement vers 8%. Dans ce contexte, Macron joue une partition classique en annonçant une sorte de loi travail bis, durcissant encore les conditions d’indemnisation du chômage, ou en jouant sur les effets de seuil dans le monde du travail. On aurait pu aussi travailler sur la standardisation des contrats de travail ou les 35 heures… au-delà de ces annonces, les chantiers en matière du droit du travail sont encore potentiellement importants, mais le nerf de la guerre pour relancer l’emploi est ailleurs : dans le lancement de réformes structurelles sur l’Etat Providence, la fiscalité, la production.

Au centre du cap présidentiel , le « réarmement civique » , l’Education nationale , la mère de toutes les batailles… est-ce juste une question de moyens financiers ?

Non, la question de la définition même de ces politiques est tout aussi cruciale que leur financement. Mais je souhaiterais rappeler qu’il n’y a pas de séparation étanche entre ces sujets. L’éducation de la population est à la fois un sujet civique, culturel, et économique, puisque du niveau de compétences de la force de travail dépendent aussi les performances économiques d’une Nation. A cet égard, les Français sortent à peine de l’illusion qui a été la leur au cours des vingt dernières années, celle du magistère intellectuel de leur pays. Au-delà de quelques positions fortes en mathématiques, à l’international, la France n’est plus perçue comme une grande nation scientifique, et les employés français ne sont pas forcément mieux formés que leurs homologues européens. Des classements PISA aux performances économiques, il y a, avec un effet d’hystérèse, une continuité dans le déclin. Avec l’essentiel de l’impact négatif encore devant nous. L’économiste Gary Becker a mis en évidence le rôle de ce capital humain dans la croissance. Le second aspect est effectivement le financement de ce volontarisme affiché en de nombreuses domaines. Alors que nous sortons d’une période de soutien à l’économie qui fut plus dispendieuse en France que chez nos voisins européens, nos finances publiques sont exsangues. La dette, à 90% du PIB en 2017, puis 100% du PIB en 2019, s’est envolée à 111,7% du PIB. Nos budget sont encore votés à 4 ou 5% du PIB, alors que le taux payé sur la dette s’est envolé avec la hausse des taux d’intérêts. La charge de la dette nous a coûté en 2023 près de 55 milliards, à comparer avec les 22 milliards consacrés à l’emploi ou les 86 milliards pour l’Education Nationale. Il va donc nous falloir faire preuve d’ingéniosité pour ce réarmement civique, car nous ne pourrons pas continuer à investir dans ces domaines au même niveau qu’en 2020-2023. Mais les mesures de bon sens ne sont pas forcément les plus onéreuses. Recentrer l’école sur les fondamentaux, apprendre les valeurs républicaines à l’école, cela ne coûte pas forcément plus cher, il s’agit surtout de volontarisme politique et culturel.

Quels étaient les buts de cette nouvelle intervention présidentielle ? Les buts sont-ils atteints ? Emmanuel Macron n’a-t-il pas finalement juste lancé la campagne des élections présidentielles ?

Force est de constater qu’il y a un problème institutionnel au cœur de ce second quinquennat, qui affaiblit toute tentative de réformes ambitieuses : bien que réélu mutatis mutandis dans un contexte international périlleux, le Président n’a pas obtenu de majorité absolue à l’Assemblée, avec sa propre majorité qui est hétéroclite et dont la contestation ira grandissante alors que le quinquennat s’approchera de son terme….Or Emmanuel Macron n’en a pas tiré les conséquences logiques : il aurait du acter une évolution plus parlementaire du régime, et bâtir des majorités de projet. Au lieu de quoi, l’Assemblée Nationale est en proie à la cacophonie (sous l’égide de Larcher et Retailleau, le Sénat lui montre la voie d’un futur parlementarisme exemplaire) et les députés de toute obédience s’abandonnent à la théatrocratie au lieu d’aider le pays. J’en appelle à un retour du réalisme et du volontarisme au sein de la classe politique. C’est la condition sine qua non pour entreprendre à nouveau des réformes économiques. Emmanuel Macron a eu raison de reprendre la main et d’insuffler une nouvelle ambition au pays. La seconde partie de la conférence de presse est apparue en effet plus partisane, avec une forme de pré-lancement des européennes, en installant le duo avec le RN. Mais l’opinion française se soucie peu de ce scrutin, traditionnellement lointain. La campagne ne débutera pas avant la mi-Mai pour nos concitoyens, et les scores d’audience (encore moins que pour les vœux présidentiels…) suggèrent un désintérêt des Français : à force de s’exprimer trop souvent, le Président a peut etre démonétisé sa parole. Il parait trop se soucier des détails des politiques publiques, asphyxiant le reste de l’exécutif. Il y a quelque chose de vicié au sein de nos institutions qui explique aussi nos contre-performances économiques et sociales…..

Quelles mesures économiques faudrait-il mettre en route pour sortir le pays sur les rails ?

Héritier du centre droit et du centre gauche, Emmanuel Macron applique en économie ce qu’ont toujours préconisé des personnalités comme Michel Rocard ou Alain Juppé. Ce dernier parlait de réformes par cliquets : à rebours de la rhétorique de son livre « Révolutions », le Président avance pas à pas avec des réformes successives du travail, de la fiscalité…Bruno Lemaire dans son programme pour la primaire de 2016 avait aussi fait sien cette approche technocratique. Sa présence à Bercy -mais aussi son épuisement- parait ainsi logique. Je comprends cette approche et la respecte en tant qu’économiste, mais force est de constater qu’elle ne fonctionne pas en France. Historiquement, le pays n’a jamais été capable de se réformer continument et lentement sur plusieurs années. A l’inverse, en six mois en 1958, avec Rueff, Baumgartner et Pinay, tout était réglé , le sursaut était enclenché comme le dit Franz Olivier Giesbert. Aujourd’hui, malgré le volontarisme d’Emmanuel Macron, les grands agrégats économiques de la France n’ont guère bougé depuis six ans : une croissance moyenne faible, un chômage largement au-dessus de la moyenne européenne, une fiscalité toujours à 46% du PIB, une dépense publique incontrôlable à 58% du PIB. Si l’attractivité de la France s’est améliorée, sa compétitivité s’est détériorée. La désindustrialisation et le creusement du déficit du commerce extérieur n’ont pas encore été enrayés. Il faut donc miser sur des réformes systémiques et l’abandon de certains totems. Sur le travail, en plus des dernières propositions du Président, il faut permettre aux entreprises qui le souhaitent de déroger du cadre des 35 heures, en défiscalisant et désocialisant à 100% les heures supplémentaires pour les cadres.  Au niveau de l’appareil productif, je recommanderais de reprendre la baisse des impôts de production, en les baissant de moitié et en mettant en place un suramortissement temporaire en 2025 sur l’achat d’équipements : le surcout d’activité et de recettes fiscales liées à cette diminution paieront les ¾ du cout de la réforme. La réindustrialisation passe aussi par la diversification des sources de financement, en instaurant un volet de capitalisation collective obligatoire pour nos retraites, seule solution pour sauver notre système de retraites à long terme….Enfin, pour réduire la dépense publique et diminuer notre endettement, les deux chantiers de la simplification et du périmètre de l’Etat sont indispensables. Les annonces sur les rémunérations au mérite de certains fonctionnaires se rattachent à cette dernière catégorie, mais il faut aller beaucoup plus loin pour espérer contrôler la dépense publique. Il faut réfléchir aux vraies missions de l’Etat, et là où le service public est un passage obligé.