Contrairement aux précédents conflits secouant la région de Gaza, le théâtre de la guerre actuelle entre Israël et les Brigades Al-Qassam s'est étendu dès sa première semaine jusqu'à la Cisjordanie. Cette expansion met en péril l'intégrité même de l'Autorité palestinienne, reconnue sur le plan international, et laisse entrevoir l'avènement d'une nouvelle structure de pouvoir.

Dans les opérations militaires israéliennes, deux volets distincts se dessinent avec netteté. D'une part, l'essentiel de ces opérations vise à :

- Déplacer, même de manière coercitive, les populations palestiniennes de la bande de Gaza pour concrétiser le projet du « Canal Ben Gourion », projet s'étendant du golfe d'Aqaba à la mer Méditerranée.

- Éliminer les Brigades Al-Qassam, bras armé du Hamas, afin de transférer le contrôle à une Autorité palestinienne déjà fragilisée.

- Éviter tout embrasement du front sud du Liban, considéré comme le plus risqué pour Israël.

D'autre part, un second volet des opérations ne concerne désormais que la Cisjordanie, territoire déjà sous contrôle israélien. Toutefois, la montée quotidienne des affrontements entre Palestiniens d'un côté, et colons juifs ainsi que forces de sécurité israéliennes de l'autre, complique considérablement la gestion de la situation et rend presque impossible l'arrêt des hostilités. Cependant, Israël mise sur son alliée, l'Autorité palestinienne, pour l'aider à rétablir l'ordre.

Il est aujourd'hui évident que l'Autorité palestinienne perd progressivement le contrôle en Cisjordanie si elle continue de provoquer le peuple palestinien. Par ailleurs, si Israël venait à perdre pied en Cisjordanie, il est à craindre que les troubles ne se propagent rapidement à la Jordanie voisine.

La Cisjordanie au bord de l'explosion ?

Retour sur la semaine passée, marquée par une opération des forces israéliennes ayant abouti à la mort de huit Palestiniens lors d'une incursion à Tulkarem, en Cisjordanie. Ce triste événement porte à 170 le nombre de victimes palestiniennes depuis le début de l'opération « Tempête d'Al-Aqsa ». Parallèlement à ces tragédies, des informations fiables indiquent une expansion des territoires saisis par les colons juifs en Cisjordanie.

Il est indéniable que la situation en Cisjordanie, sous l'égide d'une coalition gouvernementale dirigée par Benjamin Netanyahu et dominée par les partis politiques d'extrême droite, s'enlise davantage depuis le début du mois d'octobre. L'essor des implantations israéliennes et les mouvements en faveur de l'annexion de vastes portions de la Cisjordanie témoignent de cette détérioration. Pendant ce temps, l'Autorité palestinienne, en proie à des difficultés à consolider son emprise sur la région depuis sa fondation, demeure affaiblie, minée par la corruption et fragmentée, incapable de contenir les provocations des colons juifs.

Par ailleurs, le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, âgé de 88 ans et en fin de mandat depuis le début de l'année 2009, voit les différentes factions du Fatah rivaliser pour prendre la tête de l'Autorité. Ces dissensions s'étendront inévitablement aux forces de sécurité palestiniennes chargées de la zone A en Cisjordanie, où l'Autorité exerce un contrôle civil et sécuritaire total, ainsi qu'à la zone B, où l'Autorité assure l'administration civile sous la surveillance sécuritaire israélienne.

Cette dynamique crée un contexte favorable à la mobilisation des jeunes du Hamas et d'autres factions en Cisjordanie, accentuant ainsi les affrontements avec l'armée israélienne et les colons. Les implications ? Un affaiblissement croissant et continu de l'Autorité palestinienne.

La Jordanie en danger

La différence flagrante entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie est éloquente : malgré la résistance farouche des Palestiniens au sein de la Bande, le conflit peut être plus aisément circonscrit, grâce à la petitesse géographique de la région. La possibilité d'encercler complètement Gaza limite les déplacements vers le Sinaï, où l'Égypte maintient un contrôle militaire strict. En revanche, la Cisjordanie, seize fois plus vaste que Gaza et densément peuplée, augmente la probabilité d'une offensive israélienne visant à pousser les Palestiniens vers la Jordanie voisine, où plus de la moitié de la population a des racines palestiniennes.

Le royaume hachémite est-il réellement menacé ? Après la catastrophe de 1948, la Cisjordanie est passée sous la juridiction de la Jordanie jusqu'à son annexion par Israël en 1967 après la guerre des Six Jours. Plutôt que d'abandonner, les combattants de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et de nombreux civils ont cherché refuge en Jordanie, renforçant la présence de l'organisation dans le pays. En 1970, l'OLP s'était établie comme un État dans le royaume jordanien, amorçant une lutte pour renverser le régime monarchique. Ce fut alors que le roi Hussein ibn Talal a répliqué de manière implacable lors du « Septembre Noir », l'armée jordanienne remportant la victoire sur l'OLP et l'obligeant à se retirer vers le Liban.

Ces événements de 1970 ont profondément marqué la psyché politique et la stratégie jordanienne, amplifiant les préoccupations des dirigeants depuis 1967 selon lesquelles le conflit israélo-palestinien en Cisjordanie menaçait directement la stabilité du royaume hachémite. Ces inquiétudes se sont intensifiées ces dernières années avec l'échec du processus de paix, la croissance des colonies juives en Cisjordanie et les multiples conflits à Gaza, en dépit de l'accord de paix entre Israël et la Jordanie en 1994. Ce contexte a poussé le roi actuel, Abdallah II, à critiquer Israël de manière plus ferme depuis l'opération « Tempête d'Al-Aqsa ».

Le gouvernement jordanien est conscient des pressions internes et des responsabilités face à la menace que représente la situation palestinienne pour le pays. Cependant, ses options sont restreintes en tant que petit État, sans aucune résolution israélo-palestinienne. Depuis le début de l'opération « Tempête d'Al-Aqsa », Amman espérait contenir le conflit à Gaza, les conflits régionaux passés n'ayant pas affecté la sécurité en Cisjordanie, et donc en Jordanie. Malheureusement, il est désormais clair pour tous qu'Israël cherche à altérer la situation à Gaza, rompant ainsi l'équilibre fragile en Cisjordanie, bien que le Hamas ne souhaite pas différencier la situation entre la Cisjordanie et Gaza.

Dans ce contexte, la Jordanie craint depuis longtemps la montée en puissance du Hamas et de ses partisans, notamment depuis que le roi Abdallah II a alerté en 2004 sur l'émergence d'un « croissant chiite » s'étendant du golfe Persique à la mer Méditerranée, menaçant la stabilité régionale. Avec ce croissant aux portes de la Jordanie depuis l'Irak à l'est, la Syrie au nord et la Cisjordanie à l'ouest, la question demeure : l'Iran gagnera-t-il une position stratégique aux frontières de la Jordanie ?